Les Ecoles du Mahāyāna et

leurs différences avec le Theravāda

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            Certaines questions reviennent souvent à propos du bouddhisme: «Qu’appelle t-on le Grand et le Petit Véhicules? Comment sont-ils apparus? En quoi consistent leurs particularités et leurs différences?»

A) Qu’appelle t-on le Grand et le Petit Véhicules?

            Le Grand et le Petit Véhicules sont les deux grandes branches du bouddhisme quise sontdifférenciées plus de 5 siècles après la disparition du Bouddha, c’est-à-dire vers le début de notre ère. Cette séparation ne s’est pas faite du jour au lendemain, mais progressivement par une longue évolution pendant des centaines d’années, avec une division en de multiples Ecoles, dont certaines persistent de nos jours.

            Yāna en sanskrit signifie «véhicule», servant à transporter des gens sur la voie de la délivrance; mahā signifie «grand», et hīna «petit». Le Grand Véhicule (Mahāyāna, vn: Đại Thừa) prétend ainsi transporter et délivrer le plus grand nombre, contrairement à l’autre Véhicule qu'il qualifie de Petit (Hīnayāna, vn: Tiểu Thừa), car ne délivrant que soi-même.Ce terme péjoratif de Petit Véhicule est donc à éviter et à remplacer par Véhicule des Anciens (Theravāda, vn: Nguyên Thủy), thera en pali signifiant  «ancien», et vāda «école».

            Le Theravāda et le Mahāyāna sont donc les deux grandes branches actuelles du bouddhisme,le second incluant également le Véhicule du Diamant, (Vajrayāna, vn: Kim Cương Thừa), vajra signifiant  «diamant» ou «foudre».

           Le Theravāda est essentiellement pratiqué au Sri-Lanka et dans les pays du sud-est asiatique: Myanmar, Thaïlande, Malaisie, Laos, Cambodge, pointe sud du Viêt-Nam. Le Mahāyāna est pratiqué en Chine, au Japon, en Corée, au Viêt-Nam sauf à la pointe sud, etle Vajrayāna au Tibet et dans les pays voisins de l’Himalaya, et en Mongolie. Du fait de cette répartition géographique, on les appelle aussi parfois Ecole du Nord, vn: Bắc Tông (Mahāyāna) et Ecole du Sud,vn: Nam Tông(Theravāda).

B) Comment sont-ils apparus ?

            Pour connaître les raisons de leur apparition, il faudrait nous référer à l’histoire du bouddhisme, notamment à son évolution à partir de la disparition du Bouddha.

            1/ Les Conciles bouddhiques

            A la mort de celui-ci, survenue à Kusinara vers 400 avant notre ère, d’après la chronologie «courte», la Sangha (Communauté des moines) se trouva dans un grand désarroi, car il n’y eut aucun successeur désigné, ni aucun enseignement écrit.

            Un Premier Concile fut alors décidé par le doyen des disciples Mahākassapa, réunissant à Rājagaha, 500 moines tous Arhats (c-à-d réalisés), afin de sauvegarder la doctrine bouddhique, telle qu’elle a été enseignée par le Maître. Ananda, le plus proche disciple du Bouddha, fut chargé de réciter ses discours, Upali les règles monastiques, et Mahākassapa d’en faire les commentaires. Comme il n’existait pas d’écriture à l’époque, les textes étaient simplement mémorisés pour être transmis oralement aux générations suivantes.

 

            Un Second Concile eut lieu environ 100 ans après, à Vesāli, en raison d’un problème de discipline. Un groupe de moines fut accusé d’avoir enfreint une dizaine de règles monastiques, et condamné par les moines organisateurs, ce qui aboutit à une première scission de la Sangha en deux groupes: l’Ecole des Anciens (Sthaviravāda, vn: Trưởng Lão Bộ), sthavira en skt signifiant «ancien», et vāda «école», et la Grande Assemblée (Mahāsanghika, vn: Đại Chúng Bộ), sanghika en skt signifiant «assemblée». Le premier groupe était formé de moines plus âgés et plus conservateurs, le second de moines plus jeunes et contestataires.

            Vers 250 avant notre ère, soit 150 ans après la disparition du Bouddha, alors que débuta l’expansion du bouddhisme hors des frontières de l’Inde sous l’égide de l’empereur Asoka, un Troisième Concile fut organisé à Pātaliputtā, présidé par un Ancien, Moggaliputta-tissa, dans le but d’exclure de la Sangha un certain nombre d’éléments corrompus, ainsi que de faire le point sur la doctrine. Un traité, le Kathāvatthu, dénonçant plus de 200 «points de controverse», fut rédigé par Moggaliputta-tissa et classé parmi les Commentaires (Abhidhamma). La division de la Sangha devint profonde et irréversible en trois factions: l’Ecole des Anciens (Sthaviravāda), la Grande Assemblée (Mahāsanghika), et l’Ecole Tout-existe (Sarvastivāda).

            La Grande Assemblée (Mahāsanghika) fut représentée par un personnage controversé, le moine Mahādeva avec ses «Cinq thèses», soutenant qu’un Arahat pouvait encore avoir des désirs sexuels inconscients et des doutes, qu’il n’était pas encore complètement débarrassé de l’ignorance, et qu’il pouvait se faire aider dans sa réalisation par d’autres personnes, ou par certains sons.

            L’Ecole Tout-existe (Sarvastivāda, vn: Nhất Thiết Hữu) se démarquait de celle des Anciens, par sa théorie soutenant que «tout existe» (sarva signifiant «tout», et asti «existe») en même temps, le passé, le présent et l'avenir. Chaque être humain serait dans le même temps un bébé, un adolescent, un adulte et un vieillard; un œuf en même temps un poussin et une poule.

            Ces théories furent considérées comme hérétiques, et les Sarvastivādin (adeptes du Sarvastivāda) furent expulsés vers l’ouest, dans la région de Mathura et au Kashmir, où ils s’établirent. Le Mahāsanghika se dispersait aussi dans le pays, vers le centre dans le Deccan, le sud, l’est, et également vers le nord-ouest.

 

            Après ce grand éclatement, il n'y aura plus de Concile commun de la Sangha, mais seulement des Conciles séparés de diverses branches ou Ecoles.

            Pour le Sthaviravāda, qui deviendra ultérieurement le Theravāda (thera pali = sthavira skt), le Quatrième Concile eut lieu au Ier s. avant notre ère au Sri Lanka, avec pour but la rédaction du Canon pali, composé de 3 Corbeilles (Tipitaka, vn: Tam Tạng), la Corbeilledes Discours du Bouddha (Sutta-pitaka ou Nikāya), celle des Préceptes (Vinaya-pitaka), et celle des Commentaires (Abhidhamma).

            Pour le Sarvastivāda, le Quatrième Concile eut lieu au 2è s. de notre ère, au Kashmir, sous le patronage de l’empereur Kanishka 1er, aboutissant à la rédaction de l’Abhidharma de cette Ecole.

            La longue période comprise entre le Troisième Concile (3è s. avant notre ère)et le 5èsiècle de notre ère, est appelée la «période des Ecoles bouddhiques». Au 3è s. de notre ère, on comptait 18 Ecoles issues de l’Ecole des Anciens et sans doute autant de la Grande Assemblée. Ces multiples Ecoles ne sont pas apparues en même temps, mais progressivement, par détachement dissident, comme le Sarvastivāda et le Puḍgalavāda (Personnalisme) par rapport au Sthaviravāda, puis le Sautrāntika (prônant la fidélité aux sutta) par rapport au Sarvastivāda, etc.

            La majorité de ces Ecoles ont fini par s’éteindre, mais certaines ont fortement influencé la naissance du Grand Véhicule, comme le Sarvastivāda, le Dharmaguptaka (Conservateur du Dharma), le Vaibhāṣika (Exégèse)...

            2/ Le Grand Véhicule

            En effet, le terme «Grand Véhicule» (Mahāyāna) n’est apparu que tardivement, utilisé par ses adeptes pour se démarquer de l’Ecole des Anciens qu’ils traitaient de «Petit Véhicule» (Hīnayāna).

            Ce mouvement, le Grand Véhicule, serait apparu susbrepticement en Inde vers le début de notre ère, sans organisation individualisée. Les moines-pèlerins chinois XuánZàng (vn: Huyền Trang) et YìJìng (vn: Nghĩa Tịnh) rapportaient, dans leurs récits de voyage en Inde au 7è s., qu’il existaitautant demoines Mahāyānistes que demoines Sthaviravādin, vivant dans les mêmes monastères, suivant les mêmes règles monastiques, et se différenciant seulement par l’étude des textes, et la vénération des Bouddha et Bodhisattva différents.

            En effet, à la différence du Theravāda qui ne reconnaît que le Canon Pali, formé des 3 Corbeilles (Tipitaka), le Mahāyāna s’appuie sur des sūtra ne figurant pas dans le Sutta-pitaka (ou Nikāya), ainsi que sur des traités (śāstra).

            3/ Les sūtra du Grand Véhicule

            Souvent prétendus être des enseignements «cachés» du Bouddha, il s’agit en fait de textes rédigés par des auteurs anonymes, au début en langue régionale gāndhārī, ensuite en sanskrit hybride bouddhique, avec une écriture brāhmī ou kharoṣṭhī. Environ 600 sūtra ont été ainsi recensés, apparus à des moments divers.

            Les recherches archéologiques dans les régions du Gāndhāra (nord-est de l’Afghanistan, nord du Pakistan actuels) et en Asie Centrale ont permis de découvrir de nombreux fragments de manuscrits sur écorce de bouleau, datant du 1er s. avant notre ère au 3è s. de notre ère.

            Ils ont été traduits du sanskrit en chinois à partir du 2è s. de notre ère par des moines-traducteurs originaires d'Inde du nord-ouest ou d'Asie Centrale, comme Ān Shìgāo, Lokakṣema (2è s), Dharmarakṣa (3è s), Kumārajīva (ca. 400), Buddhabhadra (4è-5è s), Paramārtha (6è s), etc. ou par des moines-pèlerins chinois, comme Fǎxiǎn (3è-4è s.), Xuánzàng (7è s.), Yìjìng (7è s.), le plus souvent par la Route de la Soie, plus rarement par voie maritime.

            Beaucoup d'originaux en sanskrit ont été perdus, ne laissant que des traductions tibétaines et chinoises.  

            Les sūtra du Mahāyāna peuvent être classés en 2 groupes :

            a) Les sūtra précoces (apparus entre le 1er s. avant notre ère et le 2è s. de notre ère):

            - La Perfection de Sagesse (Prajñāpāramitā), un grand ensemble de textes rédigés par des auteurs anonymes, en prose ou en vers, à partir du 1er s. avt notre ère. D’après Edward Conze, grand spécialiste des Prajñāpāramitā, ceux-ci auraient évolué en plusieurs périodes durant plus de dix siècles. D’abord une phase d’élaboration, avec un texte de base de 8000 lignes (Aṣṭasāhasrikā); puis une phase d’expansion jusqu’à 100000 lignes, totalisant alors 600 volumes; ensuite une phase de contraction, jusqu’à 300 lignes (Sūtra du Diamant, Vajracchedikā) et 25 lignes (Sūtra du Cœur, Hṛdaya); enfin, une phase d’influence du tantrisme à partir du 6è s.; l’essentiel de l’œuvre était établi vers le 7è s., mais des modifications mineures ont encore eu lieu jusqu’au 12è s. Les deux grandes idées développées dans ces textes très littéraires sont l’éloge du Bodhisattva et la «vacuité».

            - Le sūtra du Lotus (Saddharma-puṇḍarīka), apparu au 1er – 2è s. prônant le Véhicule unique du Bouddha et les «moyens habiles», est devenu très populaire en Asie orientale.

            - Les sūtra vénérant le Bouddha Amitābha-Amitāyus, comme les Grand et Petit sūtra de Sukhāvatīvyūhaḥ.

            - Les Āgama qui sont des équivalents skt des Nikāya pali, formés de 4 recueils (au lieu de 5), avec seulement quelques petites différences, mais considérés par les Mahāyānistes comme inférieurs aux autres sūtra.

            b) Les sūtra tardifs (apparus à partir du 3è s.): la Grande Extinction complète (Mahāparinirvāṇa), la Descente à Sri Lanka (Laṇkāvatāra), l'Ornementation Fleurie (Avataṃsaka), le Rugissement du lion de la Reine Srimala (Śrīmālādevī Siṃhanāda), l'Enseignement de Vimalakīrti (Vimalakīrtinirdeśa), la Marche héroïque (Śūraṅgama), ainsi que les apocryphes chinois.

            En effet, ce sont les sūtra en chinois qui sont les plus nombreux (plus de 1600 ont été recensés), mais en dehors des sūtra traduits à partir d’originaux en skt, beaucoup d’entre eux étaient des «apocryphes», c-à-d des faux sūtra rédigés en Chine, ou bien d’origine douteuse. Les plus connus sont : le Sūtra des 42 Chapitres (vn: Tứ thập nhị Chương), les Sūtra de la Marche Héroïque (Śūraṅgama, Shǒuléngyán, vn: Thủ Lăng Nghiêm, à ne pas confondre avec le sūtra du même nom, suivi de samādhi, vn: Tam muội), de l’Eveil Parfait (Yuánjué, vn:Viên Giác),du Bodhisattva Kṣitigarbha(Dìzàng, vn: Địa Tạng), de lUllambana (Yúlánpén, vn: Vu Lan Bồn), etc.

            4) Les śastra et les Ecoles bouddhiques

            Les Ecoles bouddhiques se sont basées aussi sur les śastra, c-à-d des Traités rédigés par des patriarches ou des auteurs anonymes, qui sont des commentaires sur la doctrine ou Abhidhamma (signifiant au début « à propos du Dharma », ensuite « Dharma supérieur », vn: A Tỳ Đàmou Vi Diệu Pháp),ou des traités de psychologie bouddhique.

            Pour le Theravāda, il s’agit de l’Abhidhamma en 7 volumes, qui a été récapitulé par Buddhaghoṣa au 5è s., et aussi de son propre Traité, le Chemin de la Pureté (Visuddhimagga,vn: Thanh Tịnh Đạo ).

            Pour le Sarvastivāda, c’est l’Abhidharmakośa (Trésor du Dharma supérieur) rédigé par Vasubandhu (4è s.). Pour le Vaibhāṣika, Ecole issue de la précédente, c’est l’Abhidharma Mahāvibhāṣa (Grande Exégèse du Dharma supérieur). Issus pourtantde l’Ecole des Anciens, ces textes vont exercer une grande influence sur l’apparition du Mahāyāna.

            En Inde, entre le 2è et le 5è s. de notre ère, sont apparues deux Ecoles philosophiques du Mahāyāna:

            - L’Ecole du Milieu (Madhyamaka, vn: Trung Quán) fondée par Nāgārjuna (2è-3è s.), auteur du Traité du Milieu (Mūlamadhyamaka-kārikā, vn: Trung Luận), développant la notion de Vacuité (śūnyatā), mais qui en réalité était très proche du bouddhismeoriginel.

            - L’Ecole Rien que conscience (Yogācāra, ou Cittamātra, vn: Duy Thức) fondée par Asaṅga et son demi-frère, Vasubandhu (4è s.), auteur de plusieurs traités dont le Trésor de l’Abhidharma, développant la notion de Conscience-réceptacle (ālaya-vijñāna), expliquant la continuité des facteurs karmiques dans la renaissance.

            5/ Le Mahāyāna en Chine s’est appuyé sur les travaux de ces Ecoles ainsi que sur un ouvrage de référence, le Traité du Début de la Foi en le Mahāyāna (Mahāyāna śraddhotpāda, vn:Đại Thừa Khởi Tín Luận), autrefois attribué au patriarche indien Aśvaghoṣa(1er – 2è s.), mais qui a été démontré rédigé en Chine.

            A partir du 4è s. sont apparues en Chine de nombreuses Ecoles bouddhiques, chacune s’appuyant sur un ou plusieurs sūtra :

            - Ecole des Trois traités (Sānlùn zōng, vn: Tam Luận tông), dont le Traité du Milieu        

            - Ecole de la Discipline monastique (Lǜ zōng, vn: Luật tông)

            - Ecole du Nirvāṇa (Nièpán zōng, vn: Niết Bàn tông)(4è-5è s), sūtra de la Grande Extinction complète, Mahāparinirvāṇa, vn: Đại Bát Niết Bàn (original en skt, à ne pas confondre avec Mahāparinibbāna en pali)

            - Ecole de la Terre Pure (Jìngtǔ zōng, vn: Tịnh Độ tông) (4è-5è s), sūtra vénérant le Bouddha Amitābha-Amitāyus, A Di Đà

            - Ecole de la Plate-forme Céleste (Tiāntái zōng, vn: Thiên Thai tông)(6è s), sūtra du Lotus (Saddharma-puṇḍarīka, vn: Diệu Pháp Liên Hoa)

            - Ecole de l’Ornementation Fleurie (Huáyán zōng, Hoa Nghiêm tông)(6è-7è s), sūtra de l’Ornementation Fleurie (Avataṃsaka, vn:Hoa Nghiêm)

            - Ecole de Méditation (Chán zōng, vn: Thiền tông)(6è s), sūtra du Diamant (Prajñāpāramitā Vajracchedikā, vn: Kim Cương Bát Nhã), sūtra du Coeur (Hṛdaya vn: Tâm Kinh), sūtra de la Descente à Lanka (Laṇkāvatāra, vn: Lăng Già), sūtra de l’Estrade (vn:Pháp Bảo Đàn).

            - Ecole Esotérique ( zōng, vn: Mật tông)(8è s).

            Après leur extensionaux autres pays d’Asie orientale (Japon, Corée et Viêt-Nam), beaucoup de ces Ecolesont décliné et disparu. Actuellement l'Ecole bouddhique dominante en Asie est celle de la Terre Pure, suivie par les Ecoles de la Méditation, alors que les Ecoles de la Plate-forme Céleste et Esotérique sont devenues très rares. Il est à noter que partout où le bouddhisme s’est implanté, il est apparu un certain syncrétisme religieux dû à une adaptation aux traditions spirituelles locales (tels le confucianisme et le taoïsme en Chine et au Viêt Nam, le shintoïsme au Japon, le bön au Tibet).

            6/ Le Véhicule du Diamant(Vajrayāna, Kim Cương thừa) est une forme particulière du Mahāyāna.

            Il est apparu à partir du 5è s. en Inde du n-e et du n-o, s'est propagé en Asie Centrale, en Chine, au Tibet et dans d'autres pays Asie de l'est. Introduit au Tibet au 7è-8è s., avec un renouveau au 11è s., il comporte 4 principales lignées : Nyingmapa, Kagyupa, Sakyapa, Gelugpa.

            Il s'agit d'une tradition ésotérique, alliant yoga, d'anciennes pratiques « magiques », et la pensée bouddhique. Entre le 6è et le 10è s., sont apparus des textes (tantra) en même temps qu'un système de pensée cohérent, s’appuyant sur les sūtra Prajñāpāramitā (Bát Nhã Ba La Mật Đa), les Ecoles Madhyamaka (Trung Quán) et Yogācāra(Duy Thức).

            L'initiation se fait par un maître (guru), avec la méditation sur des divinités, des rites avec récitation de mantra, contemplation de mandala et exécution de mudra.

            L ‘une des particularités du Vajrayāna est de prendre toutes les expériences négatives, tous les obstacles de la vie, comme des moyens d’entraînement afin de parvenir à l’éveil, à la délivrance.

            7) Les raisons de l’apparition du Mahāyāna

            Après ce survol historique de l’évolution du bouddhisme, on pourrait se poser la question des raisons de l’apparition du Mahāyāna, après la division du bouddhisme originel en de multiples branches.

            Le Mahāyāna est probablement apparu comme une réaction contre l’orthodoxie et la scholastique bouddhiques de l'Ecole des Anciens, dont l’activité essentielle est devenue l’étude et la rédaction de l'Abhidhamma.

            Cette réaction venait d’une partie devenue majoritaire des moines qui aspiraient à autre chose : moins de théorie et plus de pratique, moins de sévérité intellectuelle et plus d’humanité et de compassion, moins d’isolement et plus d’ouverture sociale, avec une plus grande participation de laïcs, de femmes, de jeunes, et enfin plus de foi-dévotion, et de religiosité.

            En même temps, certaines questions métaphysiques, auxquelles le Bouddha a toujours refusé de répondre, comme le devenir de l’individu après la mort, l’éternité et l’infini, la Vérité Absolue, etc., sont revenues à la charge, et demandaient de nouvelles interprétations.

D) Quelles sont les particularités du Mahāyāna, et donc les différences avec le Theravāda?

            Nous allons examiner maintenant les particularités du Mahāyāna, qui constituent aussi ses différences avec le Theravāda.

            1) L’idéal de Bodhisattva

            L’idéal du Mahāyāniste est de devenir un Bodhisattva, et non plus un Arhat, comme dans le Theravāda. L’Arhat est celui qui s’est délivré de toutes les afflictions et souillures et qui est parvenu à l’extinction de la souffrance. Le Bodhisattva (vn: Bồ Tát,bodhi signifiant «éveillé», sattva «être») est un être éveillé qui a fait le vœu de rester dans le monde pour aider tous les êtres vivants à se délivrer.

            En fait, la notion de Bodhisattva existe déjà dans le bouddhisme originel. C’est un état d’être éveillé durant un certain temps avant son éveil parfait.

            Le «véhicule» supérieur est donc le Bodhisattva-yāna (vn : Bồ Tát Thừa), au lieu du «véhicule des Auditeurs» (sāvaka-yāna, vn: Thanh Văn Thừa) ou même du «Bouddha Solitaire» (pacceka-buddha, vn: Duyên Giác Thừa), comme dans l’Ecole des Anciens.

            C’est pour cette raison que dans le Mahāyāna, l’amour bienveillant (p. mettā, s.maitrī, vn: từ) et la compassion (karuṇā, vn: bi) sont devenus aussi importants que la sagesse ou la compréhension profonde (p. pañña, s. prajña, vn: huệ).

            2) Les Trois Corps de Bouddha (trikāya)

            Pour le Theravāda, seul le Bouddha historique, c-à-d le Bouddha Gotama (ou Sakya-muni), existe.

            Par contre, pour le Mahāyāna, le Bouddha est un être transcendantal, au-delà du temps et de l’espace. Il peut apparaître sous 3 formes:

            - le corps de transformation (nirmāṇakāya, vn: Hóa thân), dans lequel il est réincarné;

            - le corps de jouissance (saṃbhogakāya, vn: Báo thân), dans lequel il vit dans le monde des dieux et apparaît aux humains, prêchant la doctrine;

            - le corps du Dharma (dharmakāya, vn: Pháp thân), qui est le principe ultime de la Bouddhéité.

            Cette théorie des «Trois corps» explique l’apparition dans le Mahāyāna d’un véritable panthéon bouddhique: en dehors du Bouddha Gotama, on vénère encore le Bouddha Amitābha (de la Lumière Infinie, vn: Vô Lượng Quang) encore appelé Amitāyus (de la Vie Infinie, vn: Vô Lượng Thọ), le Bouddha Vairocana (du Grand Soleil, vn: Đại Nhật), le Bouddha Maitreya (du Futur, vn: Di Lặc), le Bouddha Bhaiṣajyaguru (de la Médecine, vn: Dược Sư), et de nombreux Bodhisattva dont les plus connus sont: Avalokiteśvara (de la Compassion, vn: Quán Thế Âm), Kṣitigarbha (de la Terre, vn: Địa Tạng), Mañjuśrī (de la Sagesse, vn: Văn Thù), Samantabhadra (de lExcellence, vn: Phổ Hiền). Ces personnages symbolisent aussi les qualités morales que le bouddhiste doit cultiver.

            3) La vacuité

            Comme ce sujet a déjà été traité lors du cours précédent, nous allons en parler seulement brièvement aujourd’hui. La vacuité (p. suññatā, s. śūnyatā, vn: không) est un concept apparu dans le Sūtra de la Perfection de Sagesse (Prajñāpāramitā), notamment dans le Sūtra du Cœur (hṛdaya), avec sa fameuse phrase: «La forme est la vacuité, la vacuité est la forme», et dans le Traité du Milieu (Mūlamadhyamaka-kārikā) de Nāgārjuna. Elle signifie que tout phénomène est sans «nature-propre» (nisvabhāva) et n’est qu’une «désignation», une «appellation» (prajñapti). Vacuité est donc aussi synonyme de «non-soi» (anattā) et de «co-production conditionnée» (paṭicca-samuppāda), qui font partie de l’enseignement central du Bouddha.

            Pour les Ecoles du Mahāyāna, la vacuité est un concept majeur du bouddhisme, mais de plus elle est identifiée à la nature fondamentale des choses, impossible à saisir par la conceptualisation, la logique, et à la Vérité Absolue, l’Ainsité. On arrive ainsi à la notion synthétique mais contradictoire de «Vraie Vacuité, Existence Merveilleuse»(ch: Zhēnkōng Miàoyǒu, vn: Chân Không Diệu Hữu).

            4) Les notions d’Embryon de Bouddha, de Nature-de-Bouddha, d’Ainsité

            La notion d’Embryon (ou de matrice) de Bouddha (tathāgatagarbha, vn: Như Lai tạng) a été véhiculée par de nombreux Sūtra apparus à partir du 3è s. (Tathāgatagarbha, Mahāparinirvāṇa en skt, de la Reine Śrīmālādevī, etc.) affirmant qu’il existe en chacun un embryon ou un germe de Bouddha, c-à-d le potentiel de devenir un Bouddha. Autrement dit, chacun porte en soi la Nature-de-Bouddha(vn: Phật tánh), qui est aussi synonyme de Vacuité, vn: không), de Vérité Absolue, éternelle et immuable, d’Ainsité (tathātā, vn: Chân Như). Chez chaque individu, c’est aussi la Conscience Réceptacle (ālayavijñāna) de l’Ecole Rien que Conscience (Yogācāra).

            5) La foi-dévotion

            Dans le bouddhisme originel, il n’y a pas de foi religieuse, ni de croyance en des forces surnaturelles, mais seulement une «foi de confiance» (p. saddhā) que les disciples portent en leur maître, comme en un guide.

            Mais avec l’adhésion de la masse populaire, la ferveur religieuse avec la «foi-dévotion» (p. bhakti) devient de plus en plus évidente, et pour la plupart des Ecoles du Mahāyāna, notamment l’Ecole de la Terre Pure, la vénération des Bouddha, principalement Amitābha, et des Bodhisattva, devient essentielle en Chine et dans les pays d’Asie orientale.

            Il en est de même dans le Vajrayāna, doublé du caractère magique du tantrisme.

            La seule école du Mahāyāna qui ne demande pas de foi-dévotion est l’Ecole de la Méditation, où seule compte la réalisation personnelle, aidé par la foi-confiance en la Nature-de-Bouddha (ou Esprit Lumineux) présente en soi-même.

            6) Les moyens habiles

            Ce concept particulier du Mahāyāna a été bien illustré par une parabole dans le Sūtra du Lotus(vn: Kinh Pháp Hoa). Un homme riche vit un jour sa maison en flammes avec ses enfants jouant encore à l’intérieur. Comme ils ne voulaient pas sortir malgré les injonctions de leur père, celui-ci trouva un stratagème: il leur promit les plus beaux jouets possibles quand ils seraient sortis au plus vite de la maison. Cela marcha et les enfants furent sauvés!

            Les moyens habiles (upāya-kausalya, vn: phương tiện thiện xảo) sont donc tous les moyens utilisables pour parvenir à la délivrance, ou à l’éveil. Ils peuvent être des prières, des mantra, des sons (cloche, tambour, instruments de musique divers), des mandala, des mudra, de l’encens, bref tout ce qui peut agir sur le mental et avoir un effet positif. D’après certains patriarches du Mahāyāna, le bouddhisme est parvenu au terme d’une longue évolution à un tel état de déclin (vn: mạt pháp) et l’homme à un tel degré de faiblesse qu’il a besoin d’une aide extérieure, que ce soit par le «transfert de mérites» que par l’intervention d’un grand nombre de sauveurs.

            Conclusion

            Si l’on se reporte aux écrits anciens du Canon pali, qui servent encore de support d’enseignement au Theravāda (Véhicule des Anciens), celui-ci peut être considéré comme une orthodoxie, c’est-à-dire la norme, la référence de la doctrine, alors que le Mahāyāna (Grand Véhicule) avec ses branches divergentes, ne seraient que des hétérodoxies bouddhiques.

            Ce nouvel embranchement, apparu environ 5 siècles après la disparition du Bouddha, constituerait une déformation, une transformation du tronc bouddhique originel, en de multiples branches éloignées des écoles anciennes, et qui continueraient pendant longtemps à s’en écarter sous l’influence des traditions culturelleslocales.

            Le schisme en Véhicule des Anciens et Grand Véhicule, et les modifications apportées par ce dernier semblent inévitables, d’abord en raison de la dispersion géographique des communautés de moines;puis à la suite d’une longue évolution de la doctrine pendant au moins 10 siècles; enfin, à cause de l’aspiration des masses populaires à une plus grande accessibilité, à une dimension plus humaine et plus souple de la voie, et à un besoin de foi-dévotion, transformant en religion ce qui était au départ une discipline de l’esprit.

            L’avantage de ces transformations est que les adeptes disposent aujourd’hui d’un large choix d’écoles bouddhiquesvariées, aussi bien sur le plan théorique que pratique. Chacun peut ainsi trouver le chemin le plus adapté à son tempérament et à ses aspirations. En citant cette phrase attribuée au Bouddha, mais plus vraisemblablementd’inspiration Mahāyāniste: «Il existe 84000 portes du Dharma»...

            Gardons cependant à l’esprit les grandes différences, objectivées par des données historiques, entre l’enseignement originel du Bouddha Gotama contenu dans les anciens sūtra en pali, et celui du Grand Véhicule développé par les patriarches à travers les sūtra tardifs en sanskrit, chinois et tibétain. Même si tous les deux poursuivent le même but: soulager la souffrance psychologique, calmer l’angoisse, notamment de la mort, et apporter la sérénité, le bonheur.

 

Trinh Dinh Hy

11/07/2021

 

Références

            1) Edward Conze

            Le bouddhisme, dans son essence et son développement

            Edit. Payot & Rivages, 1952, 1970, 1978, 1995

            (Buddhism – Oxford, Bruno Cassirer Ltd, 1951)

            2) Paul Williams

            Mahāyāna Buddhism: The Doctrinal Foundations – 2nd edit

            Routledge, 1989-2009

            3) Andrew Skilton

            Origins of the Mahayana – in : A Concise History of Buddhism

            Windhorse Publications Ltd, Birmingham, 1997

            4) David Drewes

            Mahāyāna Sūtras in Recent Scholarship

            Canadian Journal of Buddhist Studies, Number 16, pp 36-74, 2021

            5) Kuo Li-ying

            Sur les apocryphes bouddhiques chinois. In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-     Orient. Tome 87 N°2, 2000, pp. 677-705