L'enseignement de base du bouddhisme :
Les 4 Nobles Vérités, L'Octuple Noble Chemin,
Les 3 Marques de l'Existence
Issu de la vallée du Gange de l'Inde, le bouddhisme s'est répandu dans toute l’Asie, s'adaptant aux différentes cultures qu'il a rencontrées. Il en résulte de nombreuses écoles avec des formes de pratiques les plus diverses, souvent même en opposition les unes aux autres.
Mais quelles que soient leurs orientations, leurs interprétations des enseignements originels du Bouddha, toutes les écoles, sans exception, se réclament d'une base commune constituée de 3 caractéristiques désignées sous l'appellation "3 Marques de l'existence " (en pali, tilakkhana), et de la doctrine des "4 Nobles vérités".
Nous allons examiner cette base commune qui d'une part, relie toutes les écoles bouddhistes, et d'autre part distingue le bouddhisme des autres religions ou courants de pensée.
A. Les 3 Marques de l'existence
Pour le bouddhisme, tout ce qui existe porte nécessairement 3 caractéristiques, qu'on peut appeler " les 3 Marques de l'existence " ou tilakkhana en pali(Ti veut dire 3, lakkhana signifie "marque, aspect, caractéristique") :
1) L'impermanence (anicca)
2) Le non-soi (anatta)
3) La souffrance (dukkha)
Ces caractéristiques sont interdépendantes et ne peuvent se concevoir séparées. On ne peut pas parler de l'une sans se référer aux autres.
1) La 1ère caractéristique, l'impermanence (anicca),
L'impermanence (anicca), signifie que tout évolue, tout change à chaque instant, même si ce n'est pas apparent. Le Bouddha considère que le monde est un flux continu et changeant, et que la vie humaine est " semblable à une rivière de montagne, qui continue sans cesse sa course en s'écoulant ".
2) La 2è caractéristique est Le non-soi (anatta).
Pour le bouddhisme, aucun individu n'a d'ego. Ce non-soi (anatta) est à la fois liée à l'impermanence et il est aussi inhérent aux choses-mêmes.
a/ Le non-soi (anatta) et l'impermanence.
L'individu n'a pas d'ego parce qu'il est impermanent, ceci est expliqué dans ce passage du Samyutta-nikaya :
" Qu'en pensez-vous, ô bhikkhus? La matière (rupa), les sensations (vedana), les perceptions (sanna), les formations mentales (samkhara), la conscience (viññana), sont-elles permanentes ou impermanentes?
- Impermanentes, ô Vénéré du monde.
- Mais ce qui est impermanent, est-ce quelque chose de plaisant ou de misérable ?
- Misérable, ô Vénéré du monde.
- Mais, de ce qui est impermanent et misérable, pourrait-on dire convenablement : " Ceci m'appartient, ceci est moi, ceci est mon ego ? ".
- Non, Vénéré du monde.
- Ainsi, quelque puissent être la matière, les sensations, les perceptions, les formations mentales, la conscience, le passé, le présent ou le futur, l'intérieur ou l'extérieur, le grossier ou le subtil, le haut ou le bas, l'éloigné ou le proche, de toutes ces choses, on doit comprendre, selon la réalité et la vraie sagesse : " Ceci ne m'appartient pas, ceci n'est pas moi, ceci n'est pas mon ego ".
b/ Le non-soi est aussi inhérent aux choses-mêmes .
Comme l’a exprimé, la doctrine de la coproduction conditionnée ou l'interdépendance des conditions, par la stance suivante du Samyutta-nikaya:
" Quand ceci est, cela est
Ceci apparaissant, cela apparaît
Quand ceci n'est pas, cela n'est pas
Ceci cessant, cela cesse"
Ainsi, tous les phénomènes sont à la fois causes et effets, conditionnant et conditionnés.
Un phénomène est un ensemble composé de conditions interdépendantes. Il apparaît en tant que conditionné et en même temps il est conditionnant d'autres phénomènes.
Il ne peut pas y avoir un élément indépendant, isolé, absolu, détaché de tout le reste de l'univers.
(La doctrine du non-soi et celle de la coproduction conditionnée seront détaillées dans un prochain exposé).
3) La 3e caractéristique du tilakkhana est la souffrance (dukkha).
Avant de développer cette doctrine, il convient de préciser dans quel esprit il faut aborder le sujet et quel en est le champ d'action, les limites à ne pas franchir.
a/ Quelles attitudes mentales adopter dans le traitement du problème de la souffrance?
Devant les multitudes textes proposés par les écoles bouddhiques, tous prétendant rapporter les vrais enseignements du Bouddha, il nous est souvent difficile de démêler le vrai du faux, qui suivre? qui croire ?
Cette situation n'est cependant pas vraiment nouvelle. Cela est déjà arrivé au peuple Kalama du temps de Bouddha.
Un jour, le peuple Kalama de la ville Kesaputta se présenta au Bouddha et lui posa cette question :
" Seigneur, des solitaires et des brahmanes qui passent par Kesaputta, exposent et exaltent leurs propres doctrines et ils condamnent et méprisent les doctrines des autres. Puis viennent d'autres solitaires et brahmanes qui eux aussi, à leur tour, exposent et exaltent leurs propres doctrines et ils condamnent et méprisent les doctrines des autres. Mais pour nous, Seigneur, nous restons toujours dans le doute et la perplexité quant à celui de ces vénérables solitaires et brahmanes qui a exprimé la vérité et quant à celui qui a menti".
Le Bouddha leur répondit : " Oui, Kalama, il est juste que vous soyez dans le doute et dans la perplexité, car le doute s'est élevé en une matière qui est douteuse. Maintenant, écoutez, Kalama, ne vous laissez pas guider par les rapports, par la tradition ou par ce que vous avez entendu dire. Ne vous laissez pas guider par l'autorité de textes religieux, ni par la simple logique ou l'inférence, ni par les apparences, ni par le plaisir de spéculer sur des opinions, ni par des vraisemblances possibles, ni par la pensée " il est notre maître ". Mais Kalama, lorsque vous savez par vous-mêmes que certaines choses sont défavorables (akusala), fausses et mauvaises, alors renoncez-y. Et lorsque par vous-mêmes vous savez que certaines choses sont favorables (kusala) et bonnes, alors acceptez-les et suivez-les ".
Le Bouddha lui-même a enseigné à ses disciples peu de temps avant sa mort : " Faites de vous-mêmes votre refuge, et de personne d'autre". Dans le recueil des Paroles du Bouddha (Dhammapada), il disait également : " Efforcez-vous vous-mêmes, les Bouddhas ne sont que des guides ".
b/ Quelles sont les limites à ne pas franchir ?
Le but final du bouddhisme est l'extinction de la souffrance. Les enseignements de Bouddha n'ont de signification que dans cette logique.
Le Bouddha refuse de discuter de questions métaphysiques, mystiques qui n'aident pas à mener une vie sainte et spirituelle.
Tel le parabole du blessé : Un blessé est atteint d'une flèche empoisonnée. Que doit il faire? Doit-il enlever la flèche et se faire soigner la blessure? Ou bien divaguer sur l'origine de la flèche ou sur la caste de la personne qui l'a lancée?
Un autre exemple: les questions du disciple Malunkyaputta .
Un jour, un disciple de Bouddha nommé Malunkyaputta lui posa ces questions:
- L'univers est il éternel ou est il non éternel ?
- L'univers est il fini ou est il infini ?
- Le principe vital est il la même chose que le corps ou n'est il pas la même chose ?
- Le Tathagata [1] existe-t-il après la mort ou n'existe-t-il pas après la mort?
ou existe-t-il et à la fois n'existe-t-il pas après la mort ?
ou est-il non-existant et (à la fois) pas non-existant après la mort ?
Le Bouddha lui répondit :
"Malunkyaputta, conserve dans ton esprit ce que j'ai expliqué comme expliqué et ce que je n'ai pas expliqué comme non-expliqué.
Quelles sont les choses que je n'ai pas expliquées? Si l'univers est éternel ou non éternel, s'il est fini ou infini, si le principe vital est la même chose que le corps ou s'il n'est pas la même chose, si le Tathagata existe après la mort ou n'existe pas, ou à la fois existe et n’existe pas, ou à la fois ni n’existe ni n’existe pas.
Pourquoi, Malunkyaputta, ne les ai-je pas expliquées? Parce que ce n'est pas utile, que ce n'est pas fondamentalement lié à la vie sainte et spirituelle, que cela ne conduit pas à l'aversion, au détachement, à la cessation, à la tranquillité, à la compréhension profonde, à la réalisation complète, au Nirvana. C'est pourquoi je n'en ai pas parlé. Alors Malunkyaputta, qu'ai-je expliqué? J'ai expliqué dukkha, la naissance de dukkha, la cessation de dukkha et le chemin qui conduit à la cessation de dukkha.
B. Les 4 Nobles vérités
D’après la tradition, le premier discours tenu par le Bouddha Gotama après son Eveil, à ses 5 anciens compagnons, concerne les 4 Nobles Vérités.
" Voici, ô bhikkhus, la Noble Vérité sur dukkha. La naissance est dukkha, la vieillesse est dukkha, la maladie est dukkha, la mort est dukkha. Etre séparé de ce que l’on aime est dukkha, être uni à ce qu’on n’aime pas est dukkha, ne pas avoir ce qu’on désire est dukkha. En résumé, les 5 agrégats d’attachement (khandha) sont dukkha.
Voici, ô bhikkhus, la Noble Vérité sur la cause de dukkha (samudaya). C’est cette soif, ce désir ardent (tanha) qui produit la ré-existence et le re-devenir, qui est liée à une avidité passionnée et qui trouve une nouvelle jouissance tantôt ici, tantôt là, c-à-d la soif des plaisirs des sens, la soif de l’existence et du devenir, et la soif de la non-existence.
Voici, ô bhikkhus, la Noble Vérité sur la cessation de dukkha (nirodha). C’est faire cesser complètement cette soif, y renoncer, s’en détacher, s’en libérer.
Voici, ô bhikkhus, la Noble Vérité sur la voie qui conduit à la cessation de dukkha (magga). C’est l’Octuple Noble Sentier, à savoir : la vue juste, la pensée juste, la parole juste, l’action juste, les moyens d’existence justes, l’effort juste, l’attention juste, la concentration juste. "
Nous allons développer chacune de ces 4 Nobles Vérités (en pali : cattari-ariya-saccani):
1) dukkha,
2) samudaya, la naissance de dukkha
3) nirodha, la cessation de dukkha
4) magga, le chemin conduisant à la cessation de dukkha.
1) Dukkha
Le terme pali dukkha (skt. dhukha) est souvent traduit en français par " souffrance " ou " douleur ". En fait, son sens est beaucoup plus large, il signifie aussi " malheur, misère, peine, mal-être, insatisfaction, imperfection, manque… ". Il s'oppose à sukha, qui signifie " bonheur, bien-être ", et comme le bonheur (sukha), la souffrance (dukkha) fait partie des sensations (vedana) ressenties, et donc forcément subjectives.
Cependant, ce qu'il faut bien comprendre, c'est que la présence de bonheur (sukha) ne signifie pas l'absence de dukkha. Dans l'Anguttara-nikaya, on trouve une énumération de différentes formes de bonheur (sukhani) physiques et morales: dans les plaisirs des sens, la vie de famille, dans divers attachements, et même la satisfaction morale, les états spirituels élevés du dhyana. Mais tous ces états de bonheur sont inclus dans dukkha, car ils demeurent dans l'imperfection et ne permettent pas la libération complète.
Dukkha selon le Bouddha existe sous 3 formes:
1) dukkha en tant que souffrance ordinaire (dukkha-dukkha)
2) dukkha en tant que souffrance liée au changement (viparinama-dukkha)
3) dukkha en tant qu'état conditionné (sankhara-dukkha)
Les 2 premières formes de souffrance sont faciles à comprendre: tout ce qu'on ressent dans la vie courante comme souffrance, et tout ce qui décline, qui se détériore avec le temps, comme la maladie, la vieillesse et la mort. Mais la souffrance en tant qu'état conditionné est plus difficile à comprendre, et pourtant c'est un point important de la philosophie bouddhique. Elle est directement liée à la notion des 5 agrégats (pañca-khandha), que l'on appelle encore les agrégats d'attachement (upadana-khandha).
Pour le Bouddha, l'être ou l'individu n'existe pas en tant que tel, mais est fait d'une combinaison d'éléments physiques et mentaux en perpétuel changement, que l'on peut diviser en 5 groupes ou agrégats :
1) L'agrégat de la matière : rupa
2) L'agrégat des sensations: vedana
3) L'agrégat des perceptions: saññā
4) L'agrégat des formations mentales: saṅkhāra
5) L'agrégat de la conscience: viññāṇa
Chacun de ces agrégats concerne les 6 organes des sens, car dans le bouddhisme, en dehors des 5 organes des sens habituels, il existe encore l'organe mental (mano) qui en constitue le 6è, ainsi que les objets correspondants à chacun de ces sens.
1) L’agrégat de la matière :
Il s’agit des quatre éléments fondamentaux (l’air, la terre, le feu et l’eau), leurs différents états (fluidité, solidité et mouvements) et leurs dérivés. Par dérivés on désigne les organes sensoriels et mentaux (la vue, l’ouïe, l’odorat, l’olfaction, le toucher) et les objets leur correspondant dans le monde (les formes visibles, les sons, les odeurs, les goûts, le contact des objets avec le corps).
A ces cinq modes de relation entre une faculté et son pendant dans le monde, est ajoutée un sixième avec l’organe mental d’un côté et les pensées, idées ou conceptions de l’autre.
2) L’agrégat des sensations.
Cet agrégat comprend les sensations agréables, désagréables ou neutres, qui sont de six catégories : celles issues du contact de la vue avec les objets visibles, de l’ouïe avec les sons, de l’odorat avec les odeurs, de l’olfaction avec les goûts, et l’organe mental avec les pensées.
3) L’agrégat des perceptions .
L’agrégat des perceptions est la faculté de percevoir, de mémoriser.
La perception c’est l’identification et la reconnaissance des six catégories de sensations.
Il y a six sortes de perceptions correspondant aux six sortes de sensations et en relation avec nos six facultés sensorielles. Ce sont les perceptions qui reconnaissent les objets extérieurs ou mentaux.
4) L’agrégat des formations mentales.
Citons quelques exemples: l'attention, la volonté, la confiance, la concentration, le désir, la haine, l'ignorance, la vanité, l'énergie, etc.,
Ce sont les volitions (ou acte de volonté) qui orientent nos actes dans un sens ou dans l'autre. Selon leur portée mauvaise, neutre ou bonne, l’action volitionnelle entraîne un bon ou mauvais karma.
La volition a six formes, tout comme les six sensations et les six perceptions, cependant les sensations et les perceptions n’ont pas d’effet karmique.
Seules les actions volitionnelles ont un effet karmique.
On compte 52 formations mentales. L'ensemble des formations mentales de cet agrégat peut être assimilé à ce que nous appelons "l'instinct".
5) L’agrégat de la conscience.
La conscience est une réaction, un acte d'attention, en relation avec les 6 facultés intérieures et en correspondance avec les 6 sortes d'objets extérieurs.
La conscience ne reconnait pas un objet, elle ne fait que s'aviser de la présence de l'objet. Lorsque l'œil entre en contact avec une couleur bleue, elle ne reconnait pas que c'est du bleu, elle s'avise de la présence d'une couleur. C'est la perception, 3è agrégat, qui reconnait que c'est du bleu. La conscience visuelle "voit" mais ne "reconnaît" pas.
Les 5 agrégats ne sont pas un processus se déroulant dans un ordre donné, mais un ensemble de fonctions physiques et mentales en interaction et, rappelons-le encore, en perpétuel changement, sans qu'il y ait opposition entre l'esprit et la matière, c-à-d sans dualisme, comme dans toute la philosophie bouddhiste.
Ainsi, comme disait le Bouddha dans le Samyutta-nikaya: " En résumé, ces 5 agrégats d'attachement sont dukkha " ou encore: " O bhikkhus, qu'est-ce que dukkha? Ce sont les 5 agrégats d'attachement ". Ils sont dukkha parce qu'ils sont conditionnés, liés les uns aux autres, dépendants les uns des autres, donc sans liberté.
2) Samudaya (l'origine de dukkha)
La seconde Noble Vérité est celle de la naissance, ou de l'origine de dukkha.
La soif, le désir ardent (tanha) qui produit la ré-existence et le re-devenir, est la cause principale, immédiate de la naissance de dukkha.
Cette soif comprend non seulement la soif du plaisir des sens, de la richesse, de la puissance, de l'amour, mais aussi l'attachement aux idées, aux croyances, la soif de l'existence et du devenir, la soif de la non-existence (auto-annihilation) etc ... et tout cela dans le but de satisfaire son " soi " (ou ego).
Mais ce n'est pas la cause première, ni la seule. Car la soif elle même est provoquée par la sensation (vedana), la sensation par le contact etc... selon le processus de conditionnalité décrit dans la doctrine de la « coproduction conditionnée ».
Ce processus de conditionnalité est constitué de 12 facteurs interdépendants :
1. Par l'ignorance (Vô minh, avijjā) sont conditionnés les formations mentales ou actions volitionnelles.
2. Par les formations mentales (Hành, saṅkhāra) est conditionnée la conscience.
3. Par la conscience (Thức, viññana) sont conditionnés les phénomènes mentaux et physiques.
4. Par les phénomènes mentaux et physiques (Danh sắc, nama-rupa) sont conditionnés les six facultés.
5.Par les six facultés (lục nhập, salāyatana) est conditionné le contact (sensoriel et mental)
6. Par le contact (xúc, phassa) est conditionnée la sensation.
7. Par la sensation (Thọ, vedanā) est conditionné le désir (la soif)
8. Par le désir / la soif (Ái, tanhā) est conditionnée la saisie.
9. Par la saisie (Thủ, upādāna) est conditionné le processus du devenir.
10. Par la processus du devenir (hữu, bhava) est conditionnée la naissance.
11. Par la naissance (sinh, jāti) sont conditionnés 12. la décrépitude, la mort, les lamentations , les peines (Lão-Tử, jarā-maraṇa) etc.
Cette soif est d'autant plus intense qu'elle a comme alimentation les 3 formations mentales souvent nommées les « 3 poisons », qui sont l'avidité ou l'attachement (lobha), la colère ou la haine (dosa), l'ignorance ou l'illusion (moha).
3) Nirodha (la cessation de dukkha)
La troisième Noble Vérité découle aussi naturellement des 2 premières. " Tout ce qui a la nature de la naissance, a la nature de la cessation ", répétaient ainsi les textes du Canon pali. Dukkha qui porte en lui la nature de son apparition (samudaya), a aussi nature de la cessation, (nirodha). Le résultat de la cessation de dukkha est appelé Nibbana.
On s'est posé beaucoup de question au sujet du Nibbana. Ce n'est pas un état de bonheur (sukha) même durable, puisque, nous l'avons vu, celui-ci fait toujours partie de dukkha. Ce n'est pas le paradis, où qu'il se trouve (le Sukhavati, Paradis de l'Ouest, est une notion du Grand Véhicule et non pas du bouddhisme originel). On ne peut le décrire, l'exprimer en paroles, notamment en termes positifs, mais seulement l'approcher en termes négatifs.
Ainsi, les expressions les plus souvent rencontrées dans les anciens textes pali sont : " La cessation complète de la soif (tanha) ", " L'extinction du désir (raga), de la haine (dosa), de l'illusion (moha) ", " L'abandon de toutes les souillures (kilesa) " ou bien " L'inconditionné (asamkhata), le détachement de tout ce qui est conditionné ".
Certains commentateurs interprètent même le Nibbana comme l'Absolu, la Vérité Ultime. En réalité, le Bouddha n'a jamais parlé de l'Absolu, la Vérité Ultime. Bien au contraire, il a toujours mis en garde contre toute spéculation métaphysique, inutile, illusoire et faisant perdre beaucoup de temps devant l'urgence de la délivrance…
Quelle que soit la conception que l'on peut avoir du Nibbana, une chose est sûre: il n'est pas nécessaire d'attendre la fin de la vie pour y parvenir. On peut accéder au Nibbana lors de son vivant, c'est que l'on appelle le Nibbana " avec résidus " (sopadisesa parinibbana), par opposition au Nibbana " sans résidus " (anupadisesa parinibbana), comme l'a atteint le Bouddha Gotama à la fin de sa vie, à Kusinara, à l'âge de 80 ans.
4) Magga (Le chemin qui conduit à la cessation de dukkha)
La quatrième Noble Vérité s'intègre elle aussi dans une vision d'ensemble, comme disait le Bouddha: " Celui qui voit dukkha, voit aussi la naissance de dukkha; il voit la cessation de dukkha et voitaussile chemin qui conduit à la cessation de dukkha " (Samyutta-nikaya).
C'est donc ce chemin (magga) qui conduit à la cessation de dukkha.
Il est également appelé Chemin du Milieu (majjhima patipada), puisqu'il évite deux extrêmes: celui de l'attachement aux plaisirs des sens, " ce qui est indigne, vulgaire, et engendre de mauvaises conséquences ", et celui de la mortification du corps, " ce qui est pénible, ignoble et engendre aussi de mauvaises conséquences ". En refusant ces deux extrêmes, qu'il a lui-même expérimentés dans le passé, en tant que jeune prince dans son riche palais, puis en tant qu'ascète décharné et complètement épuisé, le Bouddha a découvert le Chemin du Milieu qui apporte la paix, la vision profonde, l'éveil, le Nibbana.
On l'appelle l'Octuple Noble Chemin (ariya-atthangika-magga), car il est formé de 8 facteurs :
(sagesse)
1) La compréhension juste (samma ditthi)
2) La pensée juste (samma sankappa)
(conduite éthique )
3) L'action juste (samma kammanta)
4) La parole juste (samma vacca)
5) Les moyens d'existence justes (samma ajiva)
(discipline mentale)
6) L'attention juste (samma sati)
7) L'effort juste (samma vayama)
8) La concentration juste (samma samadhi)
Il ne faut pas voir ces 8 facteurs comme des étapes qui se suivent dans l'ordre, mais comme un ensemble de facteurs qu'il faut développer simultanément.
On peut les retrouver dans les 3 rubriques de l'entraînement mental bouddhique, à savoir: la conduite éthique (sila), la discipline mentale (samadhi) et la sagesse (panna). En effet, l'action, la parole et les moyens d'existence font partie de la conduite éthique, alors que l'attention, l'effort, la concentration font partie de la discipline mentale, et que la compréhension, la pensée font partie de la sagesse.
L'action juste, n'est autre que la bonne action, le bon karma lui-même (kusala-kamma), entraînant un résultat favorable sur la cessation de dukkha.
La parole juste signifie à la fois l'abstention de paroles fausses, blessantes, injurieuses, méchantes, de bavardages futiles, et l'usage au contraire de paroles de vérité, douces, apaisantes, bienveillantes et utiles.
Les moyens d'existence justes sont ceux qui permettent de vivre honnêtement, sans nuire à autrui, sans causer de souffrance aux autres êtres vivants.
L'attention juste consiste à garder une attention vigilante, comme l'a enseigné le Bouddha dans le sutra de l'Etablissement de l'attention (Satipatthana-sutta), au corps (kaya), aux sensations (vedana), au mental (citta) et aux objets mentaux (dhamma).
L'effort juste consiste à s'efforcer de façon soutenue à réduire et à supprimer les états mentaux mauvais et malsains, et à faire apparaître et à développer les états mentaux bons et sains.
La concentration juste est celle qui conduit aux 4 étapes de la méditation concentrative ou absorption (jhāna; skt dhyana), la dernière étant caractérisée par la disparition de toute sensation, même de bonheur, avec persistance seulement de l'équanimité et de la pure attention.[2]
La compréhension juste consiste à voir les choses non pas telles qu'elles paraissent, mais dans leur véritable nature, comme cela est expliqué dans les 4 Nobles Vérités. Elle est obtenue non pas par le raisonnement, par les concepts, mais par la vision directe, pénétrante, quand l'esprit est débarrassé des impuretés et développé par la pratique de la méditation.
Enfin, la pensée juste est celle qui n'est pas envahie par l'égoïsme, la malveillance, la haine, mais au contraire celle remplie d'altruisme, de bienveillance, de détachement, c-à-d qui constitue la véritable sagesse.
On peut dire que l'Octuple Chemin couvre pratiquement tous les aspects de la vie, et que le Bouddha n'a cessé de le l'enseigner sous une forme ou une autre, à travers ses nombreux discours prononcés pendant 45 ans.
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On a souvent accusé le bouddhisme de pessimisme, de négativisme, voire de nihilisme, parce qu'il a pris comme point de départ la souffrance, l'insatisfaction humaine. En fait, il s'agit d'un constat de souffrance universelle, et ce constat ne témoigne point de pessimisme mais de réalisme. Au contraire, en affirmant la possibilité de faire cesser la souffrance, le bouddhisme se révèle plutôt optimiste et positif.
Dans les 4 Nobles Vérités, on trouve une similitude flagrante avec une démarche médicale, qui va du diagnostic au traitement de la maladie. La première vérité, dukkha, correspond au diagnostic de la maladie; la deuxième, samudaya, au diagnostic de la cause de la maladie; la troisième vérité, nirodha, au pronostic de la guérison de la maladie; et enfin la quatrième, magga, au traitement ou thérapeutique.
En conséquence, tel un médicament qui doit être pris par le malade lui-même, la Voie montrée par le Bouddha doit être suivie par le disciple lui-même. C'est par ses propres efforts qu'il parviendra à se libérer. Ainsi il est dit dans le recueil des Paroles du Bouddha (Dhammapada ):
" C'est par le mal qu'il fait que l'homme se souille, et c'est par l'élimination du mal qu'il se purifie. Souillure et pureté se trouvent en soi-même. Personne ne peut purifier quelqu'un d'autre ".
" Vous devez faire l'effort vous-même; les Bouddhas ne font que montrer le chemin ".
Le Sūtra du Mahāparinibbāna pali rapportait ainsi les dernières paroles du Bouddha avant son extinction complète: " Tous les phénomènes conditionnés sont impermanents. Efforcez-vous sans relâche! ".
On remarquera également dans cet enseignement fondamental du bouddhisme, l'absence de tout ce qui est métaphysique, mystique, religieux ou surnaturel. Il n'est nullement mentionné dans l'Octuple Chemin, de " foi " ou de " dévotion juste ". Le Bouddha n'a jamais demandé à ses disciples d'avoir la foi ou de croire en lui. Par la simple formule: " Venez, voyez!" (Ehi passiko!), Il invitait les gens à venir voir et non pas à venir croire.
Le bouddhisme originel est fondé sur la connaissance et l'expérience, et non pas sur la foi et la dévotion. C'est une véritable science appliquée de l'esprit, une méthode d'entraînement mental, nettement en avance sur son temps, et qui aujourd'hui est plus que jamais d'actualité.
Lai Nhu Bang
11/04/2021
Bibliographie
L'enseignement du Bouddha d'après les textes les plus anciens,
Walpola Rahula, Collections Points, Série Sagesses, 1961
[2] La concentration juste conduit aux 4 étapes de Dhyana.
1ère étape, sont repoussés les désirs passionnés, certaines pensées malsaines comme celles de concupiscence concupiscence, de malveillance, de langueur, le tracas, l'excitation et le doute, mais sont conservés les sentiments de joie, de bonheur ainsi qu'une certaine activité mentale.
2è étape, disparaissent touts les activités mentales, tandis que la tranquillité et la "fixation unificatrice" de l'esprit se développent; cependant les sentiments de joie et de bonheur sont encore conservés.
3è étape, le sentiment de joie , qui est une sensation active, disparait aussi, tandis que persiste la disposition de bonheur avec une équanimité consciente.
4è étape, toute sensation, même de bonheur ou de malheur, de joie ou de peine, disparait; seule l'équanimité et la pure attention demeurent.
(Walpola Rahula)