Questions-Réponses sur le bouddhisme
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Questions posées :
1) Où, quand et par qui a été créé le bouddhisme ?
2) Quels sont ses principes fondateurs?
3) Quels sont ses courants ?
4) Pourquoi dit-on que le bouddhisme n'est pas une religion ? Peut-on être bouddhiste et avoir une (autre) religion ?
5) Existe t-il des points communs avec les 3 principales religions monothéistes, le Judaïsme, le Christianisme et l'Islam ?
6) Comment le bouddhisme considère-t-il la mort ?
7) Le bouddhisme fait-il la différence entre les hommes et les femmes ?
8) Quel est le lien entre méditation et bouddhisme ? Qu'est-ce que la méditation de pleine conscience ?
9) Quels sont les liens connus entre le bouddhisme et les neurosciences ?
10) Pouvez-vous donner des exemples d'application quotidienne de la philosophie bouddhiste en 2019 ?
11) Quel est selon vous l’avenir du bouddhisme ?
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Questions et réponses:
1) Où, quand et par qui a été créé le bouddhisme ?
Le bouddhisme a été fondé par un personnage historique,qui a vécu au nord-est de l’Inde vers le 6è-5è s. avant notre ère, Siddharta Gotama, ultérieurement appelé le Bouddha (vn: Phật), l'Eveillé.
Selon la légende, il s'agirait d’un prince d’un petit royaume situé au pied de l'Himalaya, qui vers la trentaine aurait quitté sa famille et son palais, afin d'aller à la recherche de la vérité, en menant une vie d’ascète errant, pendant plusieurs années.
Après avoir atteint l’Eveil, c'est-à-dire percé les secrets de la vie et de la condition humaine, il aurait parcouru la basse-vallée du Gange, afin d'enseigner sa doctrine, accompagné d'une communauté de moines, la Sangha(vn: Tăng), jusqu'à sa disparition à l'âge de 80 ans.
Son enseignement, le Dharma(vn: Pháp), a d'abord été transmis oralement, puis consigné par écrit, dans un ensemble de textes appelé le Canon pali, formé de 3 parties ou Corbeilles (pali: Tipiṭaka, vn: Tam Tạng): les Discours (pali:Sutta, vn: Kinh), les Préceptes (pali: Vinaya, vn: Luật) et les Commentaires ultérieurs (pali:Abhidhamma, vn: Luận).
C'est pour cette raison que l'on lui rend hommage en le nommant: le Bouddha Maître Fondateur,le Sage Silencieux de la lignée des Sakya(vn: Bổn Sư Thích Ca Mâu Ni Phật).
Il fait partie des Trois Trésors(vn: Tam Bảo): le Bouddha, le Dharma et la Sangha, auprès desquels l'adepte bouddhiste prend Refuge(vn: Qui y).
2) Quels sont ses principes fondateurs ?
Pour bien comprendre la philosophie bouddhique, il faut se mettre dans le contexte socio-culturel de l'Inde à l'époque du Bouddha.
La société indienne était alors très hiérarchisée et divisée en plusieurs castes: tout en haut de l'échelle se trouvaient les prêtres ou brahmanes(vn:Bà La Môn), puis les aristocrates, les marchands, et tout en bas les serviteurs, et les hors-castes.
La religion dominante et officielle à l'époque était le brahmanisme, qui s'appuyait sur les écritures sacrées, les Veda et Upanishad. Elle affirmait que tous les êtres vivants sont soumis au saṃsāra(vn: luân hồi), un enchaînement perpétuel de vie, de mort et de renaissance, et dont ne pouvaient s'échapper que les brahmanes, en fusionnant l'âme individuelle (skt:atman, vn: tiểu ngã) avec l'âme universelle (skt:Brahman, vn: Đại ngã), et ceci grâce aux rites sacrificiels et aux formules magiques, dont ils étaient les seuls détenteurs. Les autres castes, c'est-à-dire la grande majorité des gens, se retrouvaient ainsi exclues de tout espoir de délivrance.
C'est alors que la pensée du Bouddha est apparue, particulièrement originale et novatrice, on pourrait même dire révolutionnaire.
D'une part, le Bouddha ne reconnait pas l'autorité des écritures sacrées, et réfute l'existence de l'âme individuelle et de l'âme universelle; d'autre part il propose une vision radicalement différente du monde, reposant sur 3 principes fondateurs qui sont: les 4 Nobles vérités(vn: Tứ Thánh Đế), les 3 Caractéristiques de l'existence(vn: Tam Pháp Ấn), et le Principe de Conditionnalité ou d' Interdépendance(pali: paṭicca-samuppāda, vn: Lý Duyên Khởi).
Les 4 Nobles vérités constituent la pierre angulaire de la philosophie bouddhique:
- La première vérité est la constatation de la souffrance humaine (ou l'insatisfaction, l'imperfection, le mal-être)(pali:dukkha, vn: Khổ)
- La deuxième concerne les causes de cette souffrance, qui sont la soif ou l'avidité, la colère ou la haine, l'ignorance ou l'illusion, encore appelés les ”3 poisons” (vn: Tam Độc). Ceux-ci, par la loi du karma, c-à-d de cause à effet, entraînent inéluctablement de la souffrance (vn: Tập).
- La troisième est la possibilité d'extinction, de cessation de la souffrance, en éliminant systématiquement ses causes (vn: Diệt).
- La quatrième est la voie qui mène à l'extinction, à la cessation de la souffrance (vn: Đạo), consistant en une conduite de vie juste et bonne, appelée l'Octuple sentier de la sagesse (vn: Bát Chánh Đạo).
En énonçant les 4 Nobles vérités, le Bouddha a fait preuve d'une véritable démarche médicale, en 4 étapes: diagnostic nosologique, diagnostic étiologique, pronostic et traitement. Il peut donc être considéré comme un grand médecin de l'âme.
Par les 3 Caractéristiques de l'existence, il entend l'impermanence (pali: anicca, vn: Vô thường), le non-soi (pali:anattā, vn: Vô ngã) et la souffrance, qui sont intimement liés.
L'impermanence, c'est la loi du changement inhérent à toute existence: tout change sans cesse, rien ne dure, rien n'est éternel. C'est l'attachement aux choses que l'on voudrait être permanentes qui est source de souffrance.
Le non-soi signifie que chaque individu n'est pas une entité réelle établie, mais seulement une aggrégation provisoire d'éléments corporels et mentaux, sans cesse changeants. C'est l'attachement à cette illusion du moi, du mien, qui nous fait souffrir.
Enfin, le Principe de Conditionnalité ou d' Interdépendance occupe une position centrale dans le bouddhisme: tous les phénomènes sont conditionnés les uns par les autres, formant un immense maillage dans l'univers, interconnecté, interdépendant, interagissant. Le Maître Thích Nhất Hạnh a utilisé le terme ”inter-être”, en prenant comme exemple une feuille de papier, où se retrouvent aussi bien l'arbre d'où elle tire la substance, que la terre, l'eau, et le soleil qui nourrissent l'arbre, le bûcheron qui l'abat, l'usine qui le transforme en papier, la papeterie qui le vend, et l'écolier ou l'écrivain qui l'utilise... Nous inter-sommes tous, nous sommes tous reliés par des liens invisibles. D'où la nécessité de vivre en harmonie, avec bienveillance et compréhension mutuelle, entre humains mais aussi avec le monde animal, végétal et minéral.
Ainsi, le message du Bouddha est clair et simple: la souffrance de chaque être humain, quel qu'il soit, est liée à sa propre conduite, et c’est par ses propres efforts, et non pas grâce aux dieux ou aux puissances surnaturelles, qu’il parviendra à la délivrance.
3) Quels sont ses courants ?
Il existe plusieurs courants dans le bouddhisme, nés de sa propagation au cours de son histoire étendue sur 25 siècles, et à travers diverses régions du monde.
On peut distinguer grossièrement deux grandes branches ou Véhicules:
- La première, le Theravāda ou Petit Véhicule (appellation péjorative qu'il vaut mieux remplacer par Véhicule des Anciens) (vn: đạo Phật Nguyên Thủy), est pratiqué dans les pays du sud-est Asiatique comme le Sri Lanka, la Birmanie, la Thailande, le Laos, le Cambodge et l'extrême sud du Viêt Nam.
- La seconde, le Mahāyāna ou Grand Véhicule(vn: đạo Phật Đại Thừa), se subdivise enune sous-branche particulière, le Vajrayāna ou Véhicule du Diamant (vn: Kim Cương Thừa),pratiqué au Tibet, dans les pays voisins et la Mongolie à partir du 7è siècle, et en plusieurs Ecoles mahayanistes apparues en Chine entre le 4èet le6è siècle, se propageant ensuite au Japon, en Corée et au Viêt Nam.
Ce sont: l'Ecole de la Terre Pure (chin: Jìngtǔ, vn: Tịnh Độ), qui domine actuellement, suivie par lesEcoles de Méditation (Chán, ouZen au Japon, Son en Corée et Thiền au Viêt Nam), alors que l'Ecole Esotérique(chin: Mìzōng, vn: Mật Tông), l'Ecole de la Guirlande de Fleurs (chin: Huáyán, vn: Hoa Nghiêm)etl'Ecole de la Plate-Forme Céleste (chin: Tiāntái, vn: Thiên Thai)ne sont plus guère influentes, si ce n'est à travers une pratique religieuse assez syncrétique dans la plupart des pagodes mahayanistes, mêlant les prières, la récitation des sutra et des mantra (vn: chú) à la méditation.
Au point de vue doctrinal, le Theravāda, qui s'appuie sur le Canon pali, est relativement homogène et le plus proche dubouddhisme originel, alors que les Ecoles du Mahāyāna sont plus hétérogènes, plus éloignées du bouddhisme originel, car elles s'appuient chacune sur l'un ou plusieurs Sutra particuliers apparus bien plus tard, comme le Sutra du Coeur (vn: Tâm Kinh) et le Sutra du Diamant(vn: Kinh Kim Cương), du grand recueil Perfection de Sagesse(vn: Bát Nhã Ba La Mật Đa), le Sutra du Lotus(vn: Kinh Pháp Hoa), les Sutra Amitābha(vn: Kinh A Di Đà), le Sutra de la Descente à Lanka(vn: Kinh Lăng Già), de la Guirlande de Fleurs(vn: Kinh Hoa Nghiêm), de la Marche Héroïque(vn: Kinh Thủ Lăng Nghiêm), etc...
Elles tirent aussi leurs idées des écoles philosophiques mahayanistes, comme l'Ecole du Milieu (skt: Mādhyamaka, vn: Trung Quán), avec la notion de ”vacuité” (skt: śūnyatā, vn: Không), et l'Ecole Rien-que-Conscience (skt: Cittamātra, vn: Duy Thức), avec la notion de ”conscience-réceptacle” (skt: ālayavijñāna, vn: A Lại Da thức) devenant synonyme de ”nature de Bouddha” (skt: buddhatā, vn: Phật tánh), intemporelle et éternelle.
4. Pourquoi dit-on que le bouddhisme est une philosophie et non pas une religion ? Peut-on être bouddhiste et suivre une (autre) religion ?
Le bouddhisme était à l’origine une philosophie, non pas une philosophie spéculative sur des idées, mais une philosophie pragmatique à vivre. Le Bouddha était considéré de son vivant comme un maître, un guide spirituel, et non pas un dieu ni un prophète.
Ce n’est que quelques centaines d'années après sa disparition que sont apparues plusieurs écoles interprétant diversement sa doctrine. Pour certaines, l'essentiel est le Principe de Bouddhéité qui s'incarne en de nombreux Bouddha dans le passé et le futur, et pas seulement le Bouddha historique. C'est le Corps du Dharma(skt: dharmakāya, vn: Pháp thân) le Bouddha transcendantal qui devient intemporel et éternel, identique à la ”nature de Bouddha” (ou ”embryon de Bouddha”, skt: tathāgatagarbha, vn: Như Lai Tạng) présente chez tous les êtres vivants.
C’est ainsi avec le développement du Grand Véhicule au nord-ouest de l'Inde, puis en Asie centrale et orientale, que le bouddhisme est devenu une véritable religion, avec le culte des Bouddha et Bodhisattva(vn: Bồ Tát). Divers rites religieux, inexistants du temps du Bouddha, ont être créés et utilisés comme des ”moyens habiles” pour parvenir à l'Eveil.
Parmi les Ecoles du Grand Véhicule, seul le Chán (ou le Zen)reste essentiellement une philosophie de vie, reposant sur la ”vacuité” et le lâcher-prise.
Ainsi, à la question ”Peut-on être à la fois bouddhiste et suivre une autre religion?”, je répondrais: Oui, si l’on considère le bouddhisme comme une doctrine philosophique et non pas une religion.
D'ailleurs, de son vivant, le Bouddha a toujours manifesté une grande tolérance envers les autres philosophies et religions. Il a notamment conseillé à des adeptes du brahmanisme qui voulaient le suivre, de continuer à honorer leur maître et leur religion.
C'est ce que conseillent également le Dalaï Lama et le Maître Thích Nhất Hạnh aux personnes qui se détournent de leur religion pour aller vers le bouddhisme: ”Suivez l'enseignement du Bouddha si vous le voulez, mais gardez votre religion”.
5. Existe t-il des points communs avec les 3 principales religions monothéistes, le Judaïsme, le Christianisme, et l'Islam ?
Oui, bien sûr, il existe des points communs entre le bouddhisme et ces 3 principales religions.
Il s'agit essentiellement de l’éthique, comme les 5 Préceptes fondamentaux du bouddhisme (vn: Ngũ Giới): ”ne pas tuer, ne pas voler, ne pas mentir, ne pas commettre de relations sexuelles illicites, ne pas s’enivrer ou se droguer”, qui sont très proches des Dix commandements de Dieu, transmis à Moïse.
Comme toutes les religions, le bouddhisme prône la paix, l’amour du prochain, la fraternité et l’aide aux plus vulnérables. La seule différence, c'est que ce n’est pas au nom de Dieu qu’il le fait, mais grâce à la compréhension profonde du Principe d’Interdépendance dans l’univers.
On retrouve aussi dans toutes ces religions des pratiques proches, comme la méditation, la prière, l’étude des écritures, le don, l’aide aux plus démunis, les oeuvres caritatives ou compassionnelles.
6. Comment le bouddhisme considère-t-il la mort ?
Contrairement à une notion erronnée fréquente, la mort n’est pas une préoccupation du bouddhisme. Ce qu'il faut souligner, c'est que le saṃsāra, cycle de renaissance ou réincarnation, n'est pas une notion d’origine bouddhique comme on le dit souvent, mais brahmanique, présente déjà dans les Veda et Upanishad.
D'ailleurs, à chaque fois que l'on l’interrogeait sur ce que devenait l’âme après la mort, sur les limites de l’univers dans l’espace et dans le temps, le Bouddha a toujours refusé de répondre, en gardant le silence. Pour lui, ce sont des questions sans réponse, futiles et qui font perdre du temps. Car le seul problème urgent est la souffrance, ici et maintenant, et le seul but est la délivrance.
L'homme éprouve souvent l'angoisse de la mort, par peur de l'inconnu et du néant, par peur de perdre soi-même et les siens. Mais en réalisant que la vie est un processus continu de naissance et de mort, d'agrégation et de désagrégation d'éléments interdépendants dans l'immense univers, le pratiquant bouddhiste arrive à se libérer de la mort, ou plus exactement de l'idée de la mort, qui l'obsède et le fait souffrir. Comme dit une Stance du Bouddha(pali: Dhammapada, vn: Kinh Pháp Cú): « Celui qui voit le corps comme l’écume, et la vie comme un mirage, détruira les flèches de Māra et échappera à la vue du Roi de la mort ».
Ainsi, l'attitude bouddhiste vis-à-vis de la mort consiste à s'y habituer en quelque sorte, en comprenant profondément le Dharma, de façon à avoir une attitude de détachement, de lâcher-prise et de joie sereine, dans la vie et en face de la mort.
A ceux qui n'y arrivent pas, le bouddhisme peut encoreapporter la force de la foi, l'espoir d'une bonne réincarnation dans la vie prochaine, grâce à la vénération des Bouddha et Bodhisattva, notamment du Bouddha Amitābha, qui les accueillerait au Paradis de l'Ouest (skt: Sukhāvati, vn: Tây Phương Cực Lạc) après leur mort.
La pratique des rites religieux, souvent très riches dans le Mahāyāna chinois et le Vajrayāna tibétain, agirait en tant que « moyens habiles » pour parvenir à la délivrance, ou au moins en apportant le calme et la sérénité.
7. Le bouddhisme fait-il la différence entre les hommes et les femmes ?
En fait, il faut bien distinguer ce qui se passe dans la communauté des moines et des moniales, la Sangha, et ce qui se passe dans la vie sociale en général.
- Dans la communauté des moines et des moniales, il existe une discrimination nette entre les sexes, une inégalité hommes/femmes, qui n'a guère changé depuis 25 siècles. La première communauté des moniales a été créée 5 ans après celle des moines, avec comme première femme ordonnée la propre mère-adoptive du Bouddha, après quelque réticence de celui-ci, semble t-il.
Mais aujourd'hui, dans beaucoup de pays, il n'y a pas d'ordination de moniales: dans les pays du Theravāda, au Japon, et au Tibet, où elles restent au rang des novices et ne peuvent pas recevoir d'instruction religieuse. Les moniales doivent observer 350 règles monastiques, soit 100 de plus que les moines. Elles doivent en plus obéir à la Règle des 8 Respects(vn: Bát Kỉnh Pháp), quiles met en situation d'infériorité par rapport aux moines, par exemple une moniale doit le respectà un moine, quel que soit leur âge respectif !
De nos jours, cette règle est devenue inutile et obsolète, et des voix -notamment de moniales de Taïwan- se sont déjà élevées pour la faire supprimer. Le Dalai Lama a déjà plaidé pour une ordination complète des moniales. Mais les institutions sont dures à faire bouger, et faudra sans doute beaucoup de temps pour obtenir une égalité hommes/femmes dans la Sangha.
- Pour les laïcs et dans l’enseignement du Bouddha, par contre, il n’y a aucune différence entre les hommes et les femmes, en terme de capacité et de possibilité de délivrance, comme en témoignent de nombreux exemples de disciples femmes qui sont parvenues à divers niveaux de réalisation, jusqu’à l’état d’Arahat (vn: A La Hán), c-à-d de délivrance totale.
Dans le Sutra de la Grande Extinction (pali: Mahāparinibbāna, vn: Đại Bát Niết Bàn pali),relatant les derniers mois de la vie du Bouddha, on raconte que celui-ci a décliné l’invitation des princes Licchavi, dirigeant le pays de Vajji, car il avait déjà accepté une autre invitation, celle d’une courtisane Ambapali, qui deviendra disciple du Bouddha, ainsi que son fils. Ceci démontre l’esprit ouvert et équitable du Bouddha, qui ne faisait aucune distinction entre les sexes ainsi que les classes sociales.
8. Quel est le lien entre méditation et bouddhisme ? Qu'est-ce que la méditation de pleine conscience ?
La méditation, appelée jhāna en pali, dhyāna en sanskrit, est essentielle dans la pratique du bouddhisme. En gros, la pratique du bouddhisme est faite de 3 disciplines qui sont liées: l’éthique ou la moralité (pali: sīla, vn: giới), la méditation ou la concentration (pali: samādhi, vn: định), et la sagesse ou la compréhension profonde (pali: paññā, skt: prajñā, vn: huệ).
La méditation est une méthode d’entraînement mental très ancienne en Inde, qui a été pratiquée par le Bouddha lui-même et enseignée dans deux Sutra, celui de l’Etablissement de l’Attention (pali: Satipaṭṭhanā, vn: Tứ Niệm Xứ) et celui de l’Attention sur la Respiration (pali: Ānāpānasati, vn: Niệm Hơi Thở).
La clé de la méditation est l’attention (pali: sati, vn: niệm), et la juste-attention (pali: samma-sati, vn: chánh niệm) fait partie de l’Octuple sentier à suivre pour parvenir à la délivrance. L’attention se dit en anglais mindfulness, ce qui peut aussi se traduire par la ”pleine conscience”.
Depuis une quarantaine d’années, ce terme mindfulness (pleine conscience), introduit par le Maître Thích Nhất Hạnh, et le Professeur de Biologie Jon Kabat-Zinn, est couramment utilisé outre-atlantique, et défini comme ”le fait de porter son attention sur ce qui se passe dans le mental à l’instant présent, sans jugement”. La méthode MBSR, "réduction du stress basée sur la pleine conscience”, développée par ce dernier en tant que traitement de diverses maladies liées au stress, a donné de très bon résultats, validés scientifiquement. Elle est aujourd'hui enseignée aux Etats-Unis dans une trentaine d'Universités Médicales et pratiquée dans plus de 250 hôpitaux, et continue à se répandre largement dans le monde.
9. Quels sont les liens connus entre le bouddhisme et les neurosciences ?
Le bouddhisme était au départ une doctrine philosophique basée sur l'étude de la psychologie humaine par le Bouddha. En procédant à une analyse particulièrement fine sur les composants de ce que l’on peut appeler l'ego, la personnalité humaine, qui sont les 5 agrégats (pali: khandha, vn: uẩn), c-à-d corporéalité, sensations, perception, formations mentales et conscience (vn: sắc, thọ, tưởng, hành, thức), il a pointé du doigt les origines de la souffrance, qui sont certaines formations mentales entraînant, par la loi de cause à effet, d'autres, que nous appelons aujourd'hui les émotions négatives.
A partir de là, il a tiré une leçon de vie pratique, qui n'est autre qu'une psychothérapie, c-à-d un entraînement mental que chacun peut suivre soi-même, et en recueillir les bénéfices.
Il s'agit d'une véritable démarche scientifique, et c'est pour cela que l'on découvre aujourd'hui les liens étroits entre le bouddhisme et la psychologie moderne, relayée par les neurosciences.
En effet, les neurosciences, apparues seulement au début du siècle dernier, ont fait des pas de géant en quelques dizaines d’années, grâce aux progrès de l’imagerie médicale et des explorations fonctionnelles et ont permis de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau. Les études neuro-scientifiques dans la méditation de ”pleine conscience” ont confirmé l'existence de modifications anatomiques et fonctionnelles à long terme chez les méditants expérimentés, comme l'augmentation de l'épaisseur de certaines zones du cortex (ce qui signifie un rajeunissement du cerveau), ainsi qu'un renforcement de certaines connectivités cérébrales, agissant aussi bien sur les fonctions affectives que cognitives.
De plus, on arrive aujourd'hui à expliquer comment agit la méditation: en fixant l'attention sur ce que l'on perçoit à l'instant présent (ce que le Bouddha appelait la ”juste attention”, samma-sati, vn: chánh niệm), on fait disparaître le ”vagabondage mental”, où l'esprit est entraîné par l'imagination, dans le passé et le futur. Or un excès de vagabondage mental est souvent source d'anxiété et de troubles de l'humeur, si bien qu'en le chassant régulièrement, la ”pleine conscience” permet de rétablir le calme et la sérénité.
10. Pouvez-vous donner des exemples d'application quotidienne de la philosophie bouddhiste en 2019 ?
La philosophie bouddhiste étant à la fois une éthique, un entraînement mental et une approche holistique, c'est-à-dire donnant une vision globale du monde, elle peut-être appliquée par tout un chacun dans la vie quotidienne.
- En matière d’éthique, on peut essayer d’appliquer dans la vie quotidienne les 5 Préceptes, d’avoir toujours en tête les conséquences de ses pensées, paroles et actes, distinguer ce qui conduit aux bonnes choses, positives, de ce qui conduit aux mauvaises, négatives, avec toujours lucidité, responsabilité et contrôle de soi.
- En matière d’entraînement mental, on peut pratiquer le plus possible la juste-attention, la ”pleine conscience” lors de séances de méditation, seul ou en groupe, pendant 10 à 30 mn, au moins 2-3 fois par semaine; et surtout dans les activités courantes, en marchant, en mangeant, en faisant du sport, de la cuisine, du ménage, du jardinage, toujours essayer de faire attention à ce que l'on perçoit, l'on fait au présent.
- Enfin, essayer de développer une vision globale, lucide et sereine du monde. Eviter de s’enfermer dans sa tour d’ivoire, s’ouvrir aux gens plus éloignés de nous, en les considérant avec empathie et compassion, et aimer profondément la nature, en la respectant, en la protégeant.
11) Quel est selon vous l’avenir du bouddhisme ?
Je crois que le bouddhisme en tant que religion dans ses formes traditionnelles n’a pas d’avenir à long terme, même si actuellement il est encore suivi par beaucoup de fidèles, notamment en Asie, certains mûs par une véritable foi, d'autres par simple opportunisme.
Par contre, le bouddhisme a un grand avenir en tant que philosophie de vie, et pourrait constituer une ”spiritualité laïque”, comme le souhaite le Dalaï Lama, afin de guider l'homme moderne déboussolé par la perte de valeurs, et de plus en plus asservi au monde techno-numérique.
La société d’aujourd’hui se trouve face à de graves et complexes problèmes, à toute sorte de pressions et de formes de violence, en grande partie issues de l'égoïsme, de l'avidité, de l'intolérance, des illusions des hommes en général, conduisant à une course effrénée à la production et à la consommation, épuisant et détruisant la planète, notre monde et celui des générations futures.
Elle a besoin de s’appuyer sur une sagesse millénaire actualisée, portant un message à la fois de rigueur morale, de lucidité, de tolérance et de compréhension, aidant l’individu à se changer et par là à changer le monde.
C’est en tant que valeur spirituelle laïque et universelle que le bouddhisme a un rôle important à jouer, et c’est là je crois son avenir.
Trịnh Đình Hỷ
(Texte présenté lors du Colloque ”Le Bouddhisme au VN du 20è siècle à nos jours”, organisé par l'AGEVP le 25/05/2019)