Institut Bouddhique Truc Lâm - Trúc Lâm Thiền viện
Colloque sur "Bouddhisme et culture" & Hội thảo về "Đạo Phật và văn hóa" 05/06/2016
Les représentations de Quan Âm dans les images populaires du Vietnam
(Hình ảnh Bồ Tát Quan Âm qua tranh dân gian Việt Nam )
Jean-Pierre Pascal
Nous ne considérerons ici que les images populaires produites autour de la rue Hàng Trống, à Hanoi, et dans le village de Đông Hồ (situé à une quarantaine de km au nord-est de Hanoi).
Si les estampes représentant des génies ou des divinités taoïstes sont assez nombreuses, celles se référant au bouddhisme sont plutôt rares, car il ne s'agit pas, pour l'essentiel, d'images de culte.
Elles concernent trois aspects de la Déesse :
- Quan Âm associée au panthéon du culte des Médiums ;
- Quan Âm telle qu'elle est vénérée dans la grotte de la montagne des Vestiges Parfumés (Hương tích) ;
- Quan Âm, en tant qu'héroïne du roman Quan Âm Thị Kính.
A - Quan Âm associée au panthéon du culte des Médiums
On trouve à Hàng Trống et dans les rues avoisinantes de nombreuses estampes reproduisant les divinités du panthéon du culte des Médiums auxquelles Quan Âm est associée. Bien que ces croyances ne soient pas, à l'origine, liées au bouddhisme, le culte des Saintes-Mères (Thánh Mẫu) est commun dans de nombreuses pagodes à côté de celui de Bouddha, des boddhisattva et de Quan Âm. Il s'agit là d'une spécificité vietnamienne dont les causes et l'historique mériteraient d'être discutés dans ce colloque.
Image 1. Quan Âm et les divinités principales des Trois Palais (Tam Phủ ) Quan Âm apparaît au sommet, entourée de l'Enfant d'Or (Kim Đồng) et de la Fille de Jade (Ngọc Nữ). Sa position indique clairement qu'elle préside aux Trois Palais et donc, en quelque sorte, que ceux-ci sont intégrés dans le bouddhisme vietnamien. En dessous figurent les 3 Grands Mandarins des 3 Régions, puis les 3 Saintes-Mères (Thánh Mẫu) de ces régions : - en rouge, la Sainte-Mère Céleste, Thánh Mẫu Liễu Hạnh, - en blanc, la Sainte-Mère des Eaux, Thánh Mẫu Thoải, qui règne sur les mers, les fleuves, les rivières, les lacs et les sources, - en vert, la Sainte-Mère des Hautes Régions, Thánh Mẫu Thượng Ngàn, qui règne sur les régions boisées et des peuples des Montagnes. |
Image 2. Quan Âm et les divinités principales des Quatre Palais (Tứ Phủ ) L'image est semblable. Le quatrième Palais a été ajouté. Les divinités, en jaune, correspondent au Monde terrestre. Le monde des vivants est représenté au registre inférieur par deux batelières, symbolisant l'eau. Entre elles, on trouve le dragon à 3 têtes et 9 queues sur lequel le Troisième Prince Impérial aimait se rendre dans les montagnes et les forêts |
Image 3. Quan Âm entourée de l'Enfant d'Or (Kim Đồng) et de la Fille de Jade (Ngọc Nữ) Dans cette image, qui appartient à la même série, la Déesse est représentée seule, assise sur un lotus, entourée par ses deux assistants. |
B - Quan Âm (Bà Chúa Ba) dans la grotte des Vestiges Parfumés (Hương tích)
Plusieurs estampes de Đông Hồ représentent la Déesse assise dans une pagode située aux Montagnes des Parfums (Hương Sơn), dans la grotte des Vestiges Parfumés (Hương tích). Elles sont toutes construites sur le même modèle : une pagode/autel au centre (avec la divinité) et un animal de chaque côté symbolisant des souhaits qui sont repris dans deux sentences parallèles. Elles correspondent à des vœux qu'on adresse à une personne ou une famille à qui on souhaite également la protection de la Déesse.
Image 4. Bà Chúa Ba dans la Pagode des Vestiges Parfumés La scène est décrite dans les deux sentences parallèles : à droite Hươu thời dâng hoa " le cerf offre une fleur " ; à gauche Hạc thời tiến quả " la grue offre un fruit ". La grue et les pêches sont des emblèmes de longévité et d'immortalité. Le cerf est un emblème de prospérité. La fleur, s'il s'agit d'une pivoine, correspond à un souhait de richesse et de prestige. La divinité correspond bien à une forme de Quan Âm comme le prouve l'image 5. |
Image 5. Quan Âm dans la grotte de la montagne des Vestiges Parfumés (Hương tích) L'histoire de Quan Âm, sous sa forme Bà Chúa Ba, est reprise de la légende chinoise de Miaochan (vn. Diệu Thiện, qui est considérée comme une forme de Guanyin (Quan Âm). Cette histoire est reprise dans deux autres estampes. |
Image 6. Diệu Thiện au monastère de l'Oiseau Blanc (Bạch tước) L'image montre Diệu Thiện en train de balayer la cour du temple. Elle est entourée d'un tigre et d'un dragon qui, outre leur rôle protecteur et bienfaisant, l'aident dans ses tâches ménagères. Sur les sentences parallèles, à gauche : Hầm thời bổ quỉ " Le tigre frappe le mauvais génie " ; à droite : Giồng thời phun nước " le dragon souffle de l'eau ". Le roi finit par se résoudre à faire exécuter sa fille. Le Tudi (esprit de la localité) prévint l'Empereur de jade qui lui ordonna de veiller à l'intégrité du corps de Diệu Thiện. Ainsi, ni le sabre du bourreau (qui se brisa en deux), ni les lances ne purent entamer le corps. Finalement, le roi la fit étrangler avec une bande de soie. La vie avait à peine quitté le corps de la princesse que le Tudi, sous la forme d'un tigre blanc, bondit et s'en empara pour le cacher dans la forêt. L'âme de Diệu Thiện quitta son corps et descendit aux Enfers. Les dix Juges eux-mêmes vinrent à sa rencontre et lui demandèrent de prier en ces lieux. Mais à peine avait-elle commencé à prier, que les damnés furent gagnés par la joie et l'Enfer fut changé en Paradis. Les dix Rois, effrayés, renvoyèrent l'âme de Diệu Thiện sur terre afin qu'elle retrouve son corps conservé de la dégradation par le Tudi. Peu après son réveil, elle fut conduite sur une île où elle aurait tout loisir de prier pour le salut des êtres : la pagode du Xiangshan (Mont des Parfums). Elle y passa neuf ans à se perfectionner, à soigner les malades et sauver les naufragés. Cette forme correspond donc aussi à Quan Âm Nam Hải (Quan Âm de la mer du Sud) que les marins et les populations côtières invoquent pour se protéger des dangers de la mer et des typhons meurtriers. |
Image 7. La guérison du roi
Cette estampe est différente des estampes de vœux. Elle illustre un épisode célèbre de la vie de Quan Âm Diệu Thiện. Sur l'estampe, Diệu Thiện apparaît à l'entrée de la grotte dans un cadre fleuri (nous sommes au Mont des Parfums), debout sur un trône de lotus et auréolée, dans une attitude proche de celle des statues de culte. Deux caractères à sa gauche la désignent comme Tiên nhân "Immortelle". Les deux envoyés du roi s'apprêtent à lui couper l'œil et la main. Il sont identifiés eux aussi par deux caractères : Triệu Chấn, qui tient le couteau et le ministre Lưu Khâm derrière lui, les mains jointes en signe d'adoration devant cette apparition. En légende : Mắt tay làm thuốc làm thang / Để về cứu bệnh Vua Trang tức thì "L'œil et la main serviront à faire une médecine / qui, à votre retour, guérira instantanément le roi Trang". |
C - Episode du roman Quan Âm Thị Kính
Image 8. Thị Kính au monastère de l'Oiseau blanc (Bạch tước) Bouddha le fait donc renaître pour sa dixième existence sous les traits d'une fille, Thị Kính. À l'âge de la puberté, elle épouse Thiện Sĩ et les deux époux mènent une vie de parfaite entente. Cependant, un soir, alors que Thiện Sĩ est assoupi, Thị Kính remarque un poil qui poussait de travers au menton de son mari. Au moment où elle va le couper avec un petit couteau, Thiện Sĩ se réveille et croit qu'elle tente de l'assassiner. Ne parvenant pas à se justifier, Thị Kính est renvoyée chez ses parents. Désespérée, elle songe à se suicider, mais, par égard pour sa famille, elle cherche un lieu où se retirer du monde. Déguisée en garçon, elle arrive au monastère de l'Oiseau blanc où le supérieur l'accepte comme novice, sous le nom de Kính Tâm. Sous son déguisement, elle inspire aux jeunes filles de l'endroit des sentiments très vifs. La fille d'un notable du village, Thị Mầu, en tombe amoureuse et lui demande de l'épouser, ou au moins d'avoir des relations amoureuses avec elle. L'image montre Quan Âm Thị Kính, en habit masculin, en train de balayer devant une pagode du monastère de l'Oiseau blanc (Bạch tước) et poursuivie de ses assiduités par Thị Mầu. Les sentences parallèles signifient : à gauche, Hầm thời bổ củi "Le tigre fend le bois" ; à droite : Rồng thì phun nước " le dragon souffle de l'eau ". Le dragon, que l'on voit ici émerger des nuages, est un animal bénéfique censé apporter la pluie (souffle de l'eau). C'est donc un souhait de bonnes récoltes et donc de prospérité. Le tigre protège les humains en combattant les esprits malfaisants. Bien entendu, Kính Tâm refuse les avances de Thị Mầu. De dépit, celle-ci se donne à un homme de sa maison et tombe enceinte. Elle accuse par vengeance Kính Tâm d'être le père de l'enfant. Il nie énergiquement, malgré les tortures qui lui sont infligées. Le bonze supérieur ayant payé l'amende, il est relâché, mais doit vivre désormais à l'écart de la pagode. Il recueille l'enfant que Thị Mầu avait abandonné et l'élève sans se soucier des railleries. Lorsque l'enfant atteint six ans, Kính Tâm meurt. La toilette mortuaire révèle qu'il est en réalité une fille et que toutes les accusations de Thị Mầu et son père étaient calomnieuses. Lors de la cérémonie organisée à la mémoire de la disparue, Bouddha apparaît au peuple du village et annonce que Thị Kính est le Bodhisattva Quan Âm, qu'elle est retournée au Ciel, elle tiendra dorénavant l'enfant dans sa main. |
Jean-Pierre PascalAncien Directeur de Recherche au CNRS,
spécialisé dans l'étude de la structure et de la biodiversité des forêts tropicales,
ancien Attaché scientifique près l'Ambassade de France à Saigon,
spécialisé dans l'étude de l'imagerie populaire viêtnamienne