Institut Bouddhique Truc Lâm - Trúc Lâm Thiền viện
Colloque sur "Bouddhisme et culture" & Hội thảo về "Đạo Phật và văn hóa" 05/06/2016
Phật giáo trong bản đồ văn hóa Việt Nam
(Le Bouddhisme dans la carte culturelle du Viêt Nam)
Lê Mạnh Thát
traduit du vietnamien parTrịnh Đình Hỷ
Où pourrait se trouver le Bouddhisme dans la carte culturelle du Viêt Nam? Telle est la question soulevée depuis longtemps par bien de gens, notamment lors de périodes où les bouddhistes viêtnamiens se sont complètement emparés des pouvoirs politique, économique et culturel du pays, de façon explicite et reconnue publiquement, par exemple du Xè au XIVè siècles. C'était une période unanimement reconnue où le bouddhisme a entièrement dominé la vie du peuple viêtnamien.
Vers la fin du XIVè siècle, Lê Ba Quat, en rédigeant une stèle commémorative à la Pagode Thiêu Phuc à Bac Giang vers 1370, s’est plaint en ces termes: " Comment peut-on croire de façon aussi profonde et durable à la théorie du karma régissant la vie, prônée par le bouddhisme? Des aristocrates jusqu’au petit peuple, dès qu’il s’agit de dons pour les oeuvres bouddhiques, même s’il fallait dépenser toute sa fortune, personne ne le regretterait. En faisant aujourd’hui des offrandes aux stupas, on se réjouit comme si l’on acquérait des actions pour en tirer des bénéfices plus tard. Ainsi, que ce soit à l’intérieur dans les cités, ou à l’extérieur dans les temples, jusqu’au fin fond des campagnes et des ruelles, on suit sans avoir à être convaincu, on croit sans avoir à jurer. Là où vivent des gens se dressent à coup sûr des pagodes, abandonnées puis reconstruites, abîmées puis réparées, les cloches et tambours, les édifices religieux occupant jusqu’à la moitié des habitations. Le bouddhisme prospère facilement et on le vénère à l’extrême. Dès ma jeunesse, j’ai lu et cherché à comprendre peu ou prou la sagesse des saints hommes afin d’éduquer les gens, mais finalement je n’ai jamais pu avoir le moindre soupçon de croyance. Je me suis promené à travers fleuves et montagnes, j’ai parcouru la moitié de la terre, à la recherche de temples d’enseignement, mais n’en ai trouvé aucun. C’est ce qui me remplit de honte et de confusion envers les dévôts bouddhistes, et me pousse à écrire ici pour l’exprimer ".
Lê Ba Quat était l’élève de Chu Van An (?-1370), vers la fin du XIVè siècle, période généralement considérée comme de dégénérescence du bouddhisme. A l’évidence, au XIVè siècle, selon les propos mêmes de Lê Ba Quat, le bouddhisme ne présentait aucun signe de dégénérescence. Bien au contraire, il s’est développé vigoureusement afin de préparer à la nouvelle responsabilité historique de protéger l’indépendance et l’intégrité territoriale de la nation (Lê Loi) et d’étendre celle-ci vers le Sud (Nguyên Hoang). Et la base rationnelle de ce bouddhisme, comme l’a montré Lê Ba Quat lui-même, n’était que la théorie du karma.
Il y a quelque temps, en commentant sur la théorie humaniste et éthique de Nguyên Trai, nous avons proposé que celle-ci ne prenait pas son origine de la pensée humaniste et éthique de Confucius et de Mencius, mais de l’éthique populaire qui a été conservée dans le Sutra des 6 Paramitas. En somme, lorsque le bouddhisme s’est transmis au Viêt Nam, il a su assimiler de belles traditions du pays pour diffuser le message bouddhique. C’est précisément ce point qui constitue la prémisse du maintien du bouddhisme dans la carte culturelle du Viêt Nam. Toujours dans le sens de cette analyse, passons du domaine de la pensée à la politique et l’économie.
D’habitude, les Viêtnamiens ne cessent de se rappeler que " les mérites conduisent au pouvoir, l’audace à la fortune ". En effet, il est des gens nés ordinaires, guère brillants dans les études, mais qui sont devenus de grands mandarins. Leur réussite dans la vie a posé maints problèmes aux chercheurs en psychologie moderne. Depuis que Binet, après une centaine d’années d’études sur l’intelligence humaine, a proposé la mesure de celle-ci par le QI (quotient intellectuel), on a découvert l’existence de gens au QI élevé, mais dont la réussite sociale n’est pas assurée. Aussi a t-on a récemment introduit le QE (quotient émotionnel), afin d’expliquer ce phénomène. QE est l’indicateur du sentiment d’attirance des gens envers la personne. Ceci explicite le point de vue populaire des viêtnamiens, à savoir que les mérites conduisent au mandarinat, c’est-à-dire à de la chance, précisément grâce aux relations sociales.
La politique et le pouvoir évoluent souvent de pair avec la richesse, d’où l’usage fréquent dans les expressions viêtnamiennes des termes " pouvoir " et " profit ". Dans la conscience populaire, le profit vient du courage de faire fortune (l’audace de faire fortune). Cette notion est en complète opposition avec la pensée confucianiste, en pratique celle de Confucius. Dans le chapitre Nhan Uyên des Entretiens, Tu Ha disait: " La naissance et la mort dépendent de la destinée, la richesse et le pouvoir dépendent du ciel ". De ce point de vue, la richesse et le pouvoir viennent du ciel. Pour les viêtnamiens, le pouvoir est dû aux mérites, et la richesse dépend de son propre courage de l’acquérir, et non pas du ciel. Et ceci est en parfait accord avec le point de vue de Lê Ba Quat sur la théorie du karma du bouddhisme, laquelle a fortement agi sur la conscience populaire du Viêt Nam au cours de son histoire.
C’est précisément là où nous pouvons confirmer la position du bouddhisme dans la carte culturelle du Viêt Nam.
Docteur en Philosophie,
Enseignant et chercheur en Histoire et en Philosophie bouddhique, Directeur Adjoint de l’Institut d’Etudes Bouddhiques du Viêt Nam à HCM-ville