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Le Chán (Zen, Seon ou Thiền)

Partie 1/2 : Les légendes et l’histoire du Chán

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        Le Chán est une école bouddhique qui est apparue en Chine au 6è siècle, et s’est épanouie sous les dynasties des Táng et des Sòng,pendant plus de 7 siècles. Il s’est propagé aux autres pays d’Asie orientale, prenant le nom de Zen au Japon, Seonen Corée et Thiền au Viêt Nam.

        Le nom Chán vient de la phonétisation du mot dhyāna (en skt) ou jhāna (en pali), qui signifie « méditation ». C’est pour cela que l’on l’appelle aussi « Ecole de Méditation », bien que la méditation n’ait jamais été une pratique caractéristique ni exclusive de cette Ecole.

        Nous vous proposons de diviser ce vaste sujet en deux parties :

        - une première partie consacrée aux légendes et à l’histoire du Chán,

        - et une deuxième partie relative à la philosophie et à l’esprit du Chán, illustrée par des histoires, anecdotes ou dialogues, appelés gōng’àn (en chinois) ou kōan (en japonais).

I. Les légendes du Chán

        D’après certains récits biographiquesanciens de grands  Maîtres Chán (1), cette Ecole aurait été fondée par un personnage semi-légendaire, appelé Bodhidharma (en jap. Daruma), un moine indien du Sud arrivé par voie maritime en Chine du Sud, dans les années 500, à la période des Dynasties du Sud et du Nord. Il est souvent représenté sur les dessins avec des yeux globuleux, les sourcils et la barbe broussailleux et la mine renfrognée.

        Peu après son arrivée, il aurait rencontré l’Empereur des Liáng,un fervent bouddhiste, qui lui demanda:

        « - J’ai fait construire des monastères, ordonner des moines et copier des sūtra en grand nombre. Quels sont mes mérites ?

        - Aucun mérite, répondit Bodhidharma.

        - Quel est le sens profond des « nobles vérités » ?

        - Un vide profond, et rien de noble.

        - Qui ai-je en face de moi ? demanda l’Empereur, agacé.

        - Je ne sais pas, répondit le moine».

        A la suite de cet entretien, Bodhidharma partit vers le Nord en direction du monastère de Shàolín, près de Lyáng, puisdemeurait dans une grotte en méditation, pendant 9 ans. Cette méthode particulière a été appelée bìguàn (méditation face au mur).

        A sa mort, vers 530, son corps fut inhumé derrière le monastère, mais quelques années plus tard, un ambassadeur de Chine en Asie Centrale l’aurait aperçu, marchant dans le massif du Pamir en direction de l’Inde, une sandale à la main. On déterra alors son cercueil, mais le trouva vide avec une seule sandale.

        D’après la légende, il était aussi le fondateur des arts martiaux chinois, et auteur de plusieurs Traités de kung-fu.

        Il aurait apporté de l’Inde lesūtra Laṇkāvatāra(Léng jiā jīng), si bien qu’on appelait volontiers son école « l’Ecole du Laṇkā ».

        Il est considéré comme le premier Patriarche du Chán, mais d’après la légende, l’originede l’Ecole de Méditation bouddhique remonterait beaucoup plus loin, à la transmission du Dharma par le Bouddha à son disciple aîné Mahākāśyapa.

        C’était la légende de « la fleur et du sourire » (niān huā wēi xiào). Un jour, devant une assemblée de moines au Pic des Vautours, le Bouddha Gotama prit dans la main une fleur d’udumbara et la leva. Personne n’en comprit la signification, sauf Mahākāśyapa quiesquissa un sourire, aussitôt reconnu par le Bouddha comme une compréhension directe du Dharma, sans parole.

        Mahākāśyapa devint ainsi le premier Patriarche du dhyāna, Ānanda le second, et ainsi de suite, passant par Nāgārjuna le 14è, Vasubandhu le 21è,jusqu’à Bodhidharma, le 28è Patriarche du dhyāna indien,et en même temps premier Patriarche du Chán chinois (2).

        Bodhidharma transmit le Dharma, symbolisé par une robe, à son élève dévoué Hùikě. Pour montrer son désir sincère d’instruction, Hùikě se trancha la main, et debout dans la neige tenant sa main ensanglantée, implora le Maître de calmer son mental troublé. « – Montre moi ton mental, que je te le calme, répondit Bodhidharma. – J’ai beau le chercher, Maître, mais je ne le trouve nulle part ! – Eh bien, je te l’ai déjà calmé ! »

        Le 2è Patriarche Hùikě transmit le Dharma au 3è Sēngcàn, qui à son tour le transmit au 4è Dàoxìn, et ce dernier au 5è Hóngrěn.

        A partir de Hóngrěn, le Chán se divisa en deux Ecoles, celle du Nord conduite par Shénxiù et celle du Sud par Huìnéng. Une véritable légende se formait ultérieurement autour de ce dernier, célébré comme le 6è Patriarche, et dont la vie était racontéeavec emphase dans le Sūtra de l’Estrade (Lìuzǔ tán jīng ou Fǎbǎo tánjīng:

        « Huìnéng était orphelin de père et vivait avec sa mère à Hǎinán, dans le sud de la Chine, comme un petitvendeur de bois, illettré. Un jour, en entendant quelqu’un réciter le Sūtra du Diamant (Jīngāng jīng), il reçut comme une révélation et s’informa sur l’origine du sūtra. Ayant appris que celui-ci étaitenseigné dans un monastère à Huángméi dans le Húběi, dirigé par le Maître Chán Hóngrěn, il s’y rendit, après s’être assuré qu’on prit soin de sa mère.

        A son arrivée, le Maître lui demanda : « D’où viens-tu et que recherches-tu en venant ici ? ». « - Je viens du Lǐngnán, et je cherche la voie de l’Eveil du Bouddha ». « - Comment un barbare du Sud comme toi peut-il prétendre devenir Bouddha ? ». « - Les gens du Nord et du Sud peuvent être différents, comme mon corps barbare et le vôtre noble, mais y a t-il un différence Nord - Sud dans la nature-de-Bouddha ?». Huìnéng fut alors accepté au monastère, à s’occuper de menus travaux dans la cuisine.

        Un jour, le Maître ordonna à ses élèves de montrer leur degré de réalisation, en présentant chacun un poème, à la suite de quoi il désignerait son successeur. Personne n’osait se manifester, car tout le monde pensait que la place reviendrait naturellement au plus brillant d’entre eux, le moine-instructeur Shénxiù. Celui-ci, effrayé par cette lourde tâche, se décida finalement à écrire dans la nuit en cachette, sur le mur un poème :

        « Le corps est un arbre d’Eveil,

        Lesprit un support de miroir brillant.

        Efforçons-nous de le polir à chaque instant,

        Afin qu’aucune poussière ne se s’y dépose ».

        Le lendemain, tout le monde découvrit le poème et ne tarit pas d’éloges sur sa beauté et son élégance.

        Huìnéng l’apprit aussi, et comme il était illettré, demanda à un moine d’écrire pour lui à côté un autre poème :

        « L’Eveil n’a pas besoin d’arbre,

        Le miroir brillant n’a point de support.

        Puisqu’à l’origine, aucune chose n’existe,

        Où la poussière pourrait-elle se déposer? ».(3)

        Les moines demeurèrent stupéfaits devant ce nouveau poème, prenant l’autre à contre-pied et témoignant d’un niveau de réalisation supérieur. Le Maître fit mine de réprimander Huìnéng, effaça son poème, mais lui fit discrètement signe de le rejoindre à minuit dans sa chambre.

        Là, il lui récita le sūtra du Diamant, et à la phrase « ne s’attacher à rien, qui puisse faire naître le mental » (yīng wú suǒ zhù ér shēng qí xīn), Huìnéng atteignit soudainement l’Eveil. Hóngrěn lui transmit alors larobe du Dharma, et le pressa de s’enfuir immédiatement vers le Sud, afin d’échapper aux partisans de Shénxiù, qui pourraient attenter à sa vie. Tous deux filèrent discrètement sur une barque, Hóngrěn prenant lui-même les rames.

        Arrivé de l’autre côté du fleuve, Huìnéng continua le chemin seul, avec les partisans de Shénxiù bientôtà ses trousses. Il fut rattrapé en haut d’une colline, par un jeune moine, Huìmíng, qui saisit sa robe tombée au sol, mais n’arriva pas à la soulever, comme retenue par une force invisible. Huìmíng s’écria : « Je suis venu, non pas pour la robe, mais juste pour apprendre le Dharma! ». Huìnéng luidit alors : « Ne pas penser au bien, ne pas penser au mal. Quel est le véritable visage du Vénérable Huìmíng? » A ces paroles, Huìmíng reçut aussitôt l’Eveil, et devint son premier disciple ».

        Tout cela fait partie de la légende du Chán. Voyons maintenant quelle serait sa véritable histoire, que les chercheurs et les historiens ont essayé de reconstituer.

II. L’histoire du Chán

        a été mieux précisée à partir du début du 20è siècle, grâce à l’étude plus approfondie de certains Recueils de Maîtres Chán jusque là négligés (4), et la découverte d’anciens documents conservés dans des grottes de Mògāo à Dūnhuáng, à l’ouest de la Chine. Il s’agit de manuscrits datant du 8è-9è siècles, concernant surtout Shénhùi, un moine peu connu jusqu’alors, mais qui semble avoir joué un rôle essentiel dans une période charnière de l’histoire du Chán (5).

        On distingue habituellement 3 périodes dans l’histoire du Chán (6):

        1) Période légendaire (c. 500 – 700, Dynasties du Nord et du Sud, des S, et début des Táng).

        C’était la « période des 6 Patriarches », débutant avec Bodhidharma (487?-593) et se terminant avec la scission en deux branches du Nord et du Sud. Il n’y a eu que peu d’informations écrites de cette période.

        2) Période classique (c.  700 – 900, Dynastie des Táng), marquée par la rébellion d’Ān Lùshān (755-763) et la grande persécution du bouddhisme (845-846).

        C’était la « période des grands Maîtres », avec des figures marquantes, volontiers iconoclastes, et idéalisée comme « l’âge d’or du Chán » par la période suivante.

       3) Période littéraire (c.  900 - 1300, 5 Dynasties, Dynastie des Sòng)

        Appelée ainsi en raison d’une importante production littéraire, de Recueils d’anecdotes, de dialogues, et de Commentaires de grands Maîtres du passé. C’était la période de maturité sur le plan structurel, mais aussi de déclin spirituel, avec plus de formalisme et moins de fraîcheur, de créativité.

        L’enseignement et la pratique du Chán sont devenus institutionnalisés, avec la systématisation des gōng’àn,distribués et adaptés aux élèves de plus en plus nombreux.

        En même temps, il apparaît une forme de sectarisme interne, avec division en « 5 grandes maisons », comme les « 5 pétales d’une fleur ». Ce sont les Ecoles Línjì, Cáodòng, Yúnmén, Fǎyǎn et Guīyǎng, la plupart ne durant que quelques générations.

        La plus vigoureuse, Línjì, ayant absorbé presque toutes les autres, au 13è s., à la fin de la dynastie des Sòng, persiste encore de nos jours, ainsi que l’Ecole Cáodòng, grâce à leur diffusion au Japon, en Corée et au Viêt Nam.

        A partir de la dynastie des Míng (14è–17è s.),le Chán se trouva complètement modifié dans un syncrétisme religieux, en se mélangeant à l’Ecole de la Terre Pure (Jìngtǔ, jap. Jōdo), devenue prédominante en Asie de l’Est, ainsi qu’à des éléments du bouddhisme tantrique et du confucianisme.

Que savons-nous de la période charnière entre les deux périodes légendaire et classique ?  

        Vers l’année 700, le moine Shénxiù, l’aîné des élèves du 5è Patriarche Hóngrěn,alors âgé de plus de 90 ans, fut invité à la Cour de Chángān, par l’Impératrice Wǔ Zétiān, de la Dynastie des Táng(7).

        Cette femme, unique dans l’histoire de la Chine à s’être proclamée « Empereur », régnait sur le pays d’une main de fer, mais était une fervente bouddhiste. Elle couvrit le vieux moine d’honneurs,en se prosternant exceptionnellement devant lui, et en le nommant « Seigneur du Dharma des deux capitales Chángānet Luòyáng, et Maître des 3 Empereurs (l’Impératrice et ses 2 fils) ». A sa mort en 705, il eut droit à des funérailles nationales, la construction de 3 monastères à sa mémoire, et le titre officiel de 6è Patriarche dans sa biographie. Deux de ses disciples, Pǔjì et Yìfú, continuaient à être honorés comme des Maîtres nationaux de l’Empire.

        Mais en 734, un moine du Sud du nom de Shénhùi se leva lors d’un grand rassemblement dans un monastère à Huátái, dans le Hénán, et au nom de son Maître Huìnéng disparu vingt ans auparavant, contesta l’authenticité et l’historicité de la lignée de Shénxiù et de son Ecole. Plus tard, il siégea dans un grand monastère Hézé, à la capitale orientale Luòyáng, d’où il tirait le surnom de « Maître de Hézé ».

        Il soutint tout d’abord que la robe de transmission du Dharma a été donnée de Bodhidharma, à travers 4 générations, à Hóngrěn, et que Hóngrěn l’a donnée à Huìnéng etnon pas à Shénxiù. Le titre de 6è Patriarche devait donc revenir à Huìnéng etnon pas à Shénxiù, et Pǔjì ne pouvait pas prétendreêtre de la 7è génération.

        Ensuite, que l’enseignement de Shénxiù et Pǔjì étaiterroné, parce qu’il ne reconnaissait que l’Eveil « graduel », alors que les grands Maîtres du Chán, pendant six générations, avaient tous enseigné l’Eveil « subit », en disant que « l’épée doit transpercer directement », pointant directement à la réalisation de sa nature. Il critiqua aussi la façon de pratiquer le Chán de l’Ecole du Nord, comme toute forme de méditation assise (zuòchán, jap. za-zen) qu’il jugea inutile. « Dans notre Ecole, dit-il, ne pas avoir de pensée est la méditation assise, et voir sa nature originelle est le Chán ».

        C’était un prédicateur éloquent et un conteur dramatique. Beaucoup de légendes sur le Chán ancien, comme l’entretien de Bodhidharma avec l’empereur desLiáng, et l’histoire du deuxième patriarche Hùikě, se coupant la main pour montrer sa sincérité, ont été inventées par lui, puis ont été embellies et incorporées dans la tradition générale du Chán. De plus, il avait dans ses relations un certain nombre d’hommes d’État et d’éminents lettrés de l’époque, comme le poète bouddhiste Wáng Wéi, à qui il a confié la biographie de son MaîtreHuìnéng.

        L’éloquence et la popularité de Shénhùi attiraient une foule tellement immense, qu’il finit en 753 par éveiller des soupçons de complot contre l’Etat, et fut exilé pendant trois ans dans des provinces lointaines par l’Empereur Xuánng des Táng.

        Mais en755 éclata la rébellion du général Ān Lùshān qui gagna rapidement du terrain, et s’empara en un an des deux capitales. La résistance s’organisait cependant autour d’un nouvel Empereur, et en 757, les deux capitales furent récupérées, et Ān Lùshān assassiné par son fils.

        Le moineShénhùi, connu pour son éloquence et sa popularité, fut alors rappelé à Luòyáng, pour faire des prédications à d’immenses foules, dans le but de collecter des fonds pour financer la guerre.

        Sa contribution fut grandement appréciée par le nouvel Empereur, et l’ancien moinehérétique banni devint alors l’invité d’honneur de l’Empire. 

        Après sa mort, plusieurs décrets impériaux furent publiés, en 770 nommant sa chapelle « Salle de Sagesse (prajñā), Transmission de la véritable Ecole », eten 796 établissant que le « Maître Hézé Shénhùi était le 7è Patriarche ».

        En 815, un décret impérial conféra des honneurs posthumes à Huìnéng, « mort 106 ans auparavant », le nommant « Maître de la Grande Sagesse ». On demanda à deux grands écrivains de l’époque, Liǔ Zōngyuán et Liú Yǔxī, d’écrire deux monuments biographiques de Huìnéng, où il était définitivement présenté comme le 6è Patriarche du Chán

        Ainsi donc, l’histoire du Chán ne semblepas correspondre exactement au récit du sūtra de l’Estrade (Lìuzǔ tán jīng ou Fǎbǎo tánjīng), censé être une autobiographie de Huìnéng.

        En fait, ce sūtra la été probablement rédigé par des disciples de Huìnéng longtemps après sa disparition. On l’a attribué au moine Fǎhǎi, maisil pourrait aussi s’agir d’un texte avec des éléments surajoutés et modifiés au fur et à mesure.

        En confrontant les versions récentes du 11è et 13è siècles aux plus anciennes découvertes à Dūnhuáng datantdu 9è siècle, on peut dire que beaucoup de chose dites sur Huìnéng ont étéamplifiées voire fictives, inventées par ses disciples, notamment par Shénhùi : la transmission de la robe du Dharma par Hóngrěn, faisant de lui le 6è Patriarche ; sa position tranchée pour l’Eveil subit, contre l’Eveil graduel ; sa critique de la méditation assise.

        Ce qu’on sait du vrai Huìnéng, c’est qu’il était d’origine humble, issu d’une minorité ethnique du sud-ouest appelée Gèliáo,qu’il a fait voeu de vieascétique(tóutuó), et cultivait avant tout la tolérance à la souffrance, ainsi que lamour bienveillant et la bonté. Après son séjour à Huángméioù il a étudié avec Hóngrěn, il est retourné dans le Sud, où pendant 16 ans il a vécu parmi les humbles, les cultivateurs et petits commerçants. C’est après la rencontre avec un moine de l’Ecole du Nirvāṇa qui l’a ordonné, qu’il a commencé à enseigner. Son expérience de vie parmi les gens humbles et pauvres, lui a sans doute permis de comprendre et d’ouvrir le coeur et l’esprit des hommes, de façon soudaine, directe, sans paroles ni écritures.

        Quoiqu’il en soit, le travail acharné effectué par Shénhùi a porté ses fruits, et déclenché un mouvement réformateur dans le bouddhisme, voire une véritable révolution interne, faisant sortir de l’obscurité l’Ecole du Sud de Huìnéng, pour éclipser finalement l’Ecole du Nord de Shénxiù.

        C’est probablement à partir de cette Ecole du Sud qu’est apparu au début du 11è siècle le célèbre quatrain (et non pas de Bodhidharma comme on le croyait), fixant les bases du Chán:

        « Transmis en dehors de l’enseignement,

        Ne reposant pas sur les écritures, 

        Pointant directement le mental,

        Voyant sa nature-propre, on devient Bouddha ».

Passons maintenant à la période classique du Chán       

        Au dernier quart du 8è siècle, une grande ruée a commencé dans les écoles Chán, étudiants comme enseignants, pour rejoindre l’Ecole du Sud.

        On allait rechercher des anciens de cette Ecole dans leur retraite montagneuse, certains déjà disparus. Ainsi, Huáiràng dans les montagnes Héngyuè au Húnán, Xíngsīdans les montagnes Qīngyuán du Jiāngxī,figuraient parmi les premiers élèves de Huìnéng. On attribue pratiquement toute la généalogie des patriarches Chán à cette Ecole, en sachant néanmoins qu’il existait aussi d’autres branches collatérales.

        Ainsi, il a été rapporté dans un récit par un collègue de Shénhùi, retrouvé àDūnhuáng, que le 5è Patriarche Hóngrěn avait11 disciples, parmi lesquels le numéro 1 Shénxiù, et le numéro 8 Huìnéng. Il y avait aussi le numéro 2, Zhíshēn de Zīzhōu dans le Sìchuān, qui enseignait dans l’ouest de la Chine et dont descendait deux autres Ecoles importantes du Chán.

        Mǎzǔ Dàoyì, l’un des plus grands maîtres Chán du 8è siècle, venait d’ailleurs de l’une de ces deux Ecoles, du monastère Jìngzhòngà Chéngdū. Mais c’était auprès de Huáiràng que son biographe notait qu’il avait étudié et atteint l’Eveil, et de ce fait avait considéré ce dernier commeson Maître. Le récit de leur rencontre était surprenant :

        « Au cours d’une visite au monastère où Mǎzǔétudiait comme novice, Huáiràngremarqua que celui-ciétait particulièrement zélé dans la méditation. Pourquoi méditez-vous à longueur de journée ainsi? demanda t-il. - Pour atteindre l’Eveil, répondit Mǎzǔ. Huáiràngprit alors une brique qu’il se mit à frotter contre une pierre. – Que faites-vous là? demanda Mǎzǔ. – Je le polis pour faire un miroir. – Mais c’est insensé! Comment pouvez-vous obtenir un miroir en frottant une brique? – Et vous, répondit Huáiràng, comment pouvez-vous atteindre l’Eveil en méditant? »

        Une autre ancienne Ecole Chán, connue sous le nom d’Ecole de la colline Tête de Bœuf, près de Nánjīng, a été fondée par le moine Fǎróng, reconnu tardivement comme un élève du 4è Patriarche Dàoxìn.

        Au 9è siècle,le moine érudit Zōng, qui était à la fois le 5è Patriarche de l’Ecole de la Guirlande de Fleurs (Huáyán) et Patriarche de l’Ecole Chán de Shénhùi, a rédigé un commentaire sur le Sūtra de l’Eveil Parfait (Yuánjué jīng), dontil était suspecté d’être l’auteur lui-même.

        Dans ce volumineux ouvrage, il distinguait 7 grandes Ecoles Chán, dont 3 étaient anciennes :

        1) l’Ecole du Nord de Shénxiù ;

        2) l’Ecole de Shénhùi (à laquelle appartenait Zōnglui-même), qui renonce à toutes les pratiques Chán, à la concentration, au désir d’Eveil et de nirvāṇa, et croit à la possibilité d’un Eveil subit ;

        3) une Ecole de l’Ouest, caractéristique par la répétition du nom du Bouddha Fó comme méthode de contemplation simplifiée ;

        4) l’Ecole de Zhíshēnet l’Ecole du monastère Jìngzhòng fondée par ses disciples, dont l’enseignement se résume en une phrase : « Ne pas se rappeler le passé, ne pas contempler l’avenir, ne pas oublier la sagesse » ;

        5) l’Ecole du monastèreBǎotáng, fondée par le moine Wúzhù, de l’Ecole Jìngzhòng, où « touteforme de pratique religieuse (culte d’images de Bouddha, prière, récitation et copie de sūtra, est considérée comme insensée et interdite », comme « toute pensée, qu’elle soit bonne ou mauvaise » ;

        6) L’Ecole Tête de Bœuf (Níutóu), qui suivait la philosophie de la « vacuité » du Prajñāpāramitā-sūtra et de Nāgārjuna, est devenue complètement nihiliste et iconoclaste. Pour elle, « Il n’y a pas de vérité, ni de Bouddhéité, pas de culture, ni de non-culture, pas de Bouddha, ni de non-Bouddha » ;

        7) La grande Ecole de Mǎzǔ Dàoyì, qui enseigne que le Dào est partout et en toute chose. Chaque idée ou émotion, chaque sensation ou mouvement du corps est le fonctionnement de la nature-de-Bouddha en l’homme. Ne cherchez jamais à faire le bien, ni à faire le mal, ni à cultiver le Tao. Suivez le cours de la nature et bougez librement. Ne rien faire, ne rien interdire. C’est la voie de l’« homme libre », qui est aussi appelé le « super-homme ».

La grande persécution du bouddhisme de 845

        En 845 eut lieu la plus grande persécution du bouddhisme de toute l’histoire de la Chine, ordonnée par l’Empereur Wǔzōng, sans doute sous l’influence des taoïstes, mais aussi des nationalistes qui n’aimaient pas cette religion d’origine étrangère et non chinoise.

        Un grand nombre de monastères furent détruits, des sūtra brûlés, des terres et des biens de l’Eglise confisqués, des moines et moniales obligés de retourner à la vie séculière. Cette persécution, qui concernait aussi les manichéens et les nestoriens, n’a duré que 2 ans, et s’acheva avec la mort de l’Empereur et l’ordonnance d’amnistie générale par son successeur.        

        Paradoxalement, les Ecoles Chán étaient relativement préservées par cette persécution, car contrairement à d’autres Ecoles florissantes à l’époque, comme la Plate-forme Céleste (Tiāntái), la Guirlande de Fleurs (Huáyán), officiant dans de grands et riches monastères, avec beaucoup de sūtra et d’écritures, ellesavaient un mode de vie dépouillé à la campagne ou dans les montagnes, et ne nécessitaient pas d’écritures. Il en était de même pour l’Ecole Jìngtǔ, qui n’avait besoin que de la récitation du nom du Bouddha Ēmí tuó.

        Ainsi le Chán a continué à se développer, et aux environs de l’an 1000, il avait éclipsé toutes les autres Ecoles bouddhiques de Chine, sauf le Jìngtǔ (ou Amidisme).

Les grands maîtres iconoclastes

        L’esprit du Chán devenait de plus en plus iconoclaste, et non bouddhiste.

        Xuānjiànde Déshān dans le Húnán, qui était le père spirituel des Ecoles Yúnmén et Fǎyǎn du 10è siècle, prônait la doctrine « ne rien faire », qui rappelle celle de Mǎzǔet la philosophie de Lǎozǐ et de Zhuāngzǐ, et tenait en plus des propos profanes et irrespectueux :

        « Reposez-vous et ne faites rien. Habillez-vous, mangez, bougez vos intestins, c’est tout. Essayez simplement d’être un humain ordinaire. Il n’y a pas de cycle de vie ou de mort à craindre, pas de nirvāṇa ou de bodhi à atteindre.

         Ici, il n’y a ni Bouddha, ni Patriarches. Les Bodhisattva ne sont que des tas de fumier de coolies. Nirvana et bodhi sont des souches mortes pour attacher les ânes. Les « douze liens » de l’Enseignement Sacré ne sont que des feuilles de papier faites pour essuyer le pus des furoncles. Les « quatre fruits » et les « dix étapes » ne sont que des fantômes traînant dans des tombes pourries. Qu’est-ce que cela a à voir avec votre salut?

        Les sages ne cherchent pas le Bouddha. Le Bouddha est le grand criminel qui a séduit tant de gens dans les pièges du putain de Diable. 

        Ô vous les sages, dégagez vos corps et vos esprits! Libérez-vous de toutes ces entraves ».

        Ces déclarations choquantes font partie d’une méthode pédagogique de transmission de la vérité par une grande variété de gestes, de mots ou d’actes étranges, excentriques et parfois apparemment fous, comme des cris, des gifles ou torsions de nez, des coups de bâton adressés aux élèves. L’un des Maîtres réputés dans ce domaine était Yìxuán, fondateur de l’Ecole Línjì, devenue l’école Chánla plus influente au cours des deux siècles suivants.

        « Intérieurement et extérieurement, disait-il, essayez de tuer tout ce qui se met sur votre chemin. Si vous trouvez le Bouddha sur votre chemin, tuez le Bouddha. Si les Patriarches sont sur votre chemin, tuez les Patriarches. Si votre père et votre mère sont sur votre chemin, tuez-les aussi... C’est le seul chemin vers votre libération, votre liberté. Soyez indépendant et ne vous attachez à rien... Reconnaissez-vous vous-mêmes! Pourquoi cherchez vous ici et là vos Bouddha et vos Bodhisattva? Pourquoi voulez-vous sortir des « trois mondes »? O fous, où voulez-vous aller? »

        On pourrait dire que le Chán, à ce stade n’est plus du tout Chán, c’est-à-dire méditation, ni bouddhiste, puisqu’il ne respecte plus l’enseignement du Bouddha, ni les Bouddha et Bodhisattva. Il est plus proche du taoïsme, avec le « non-penser, non-agir » (wúzhī, wúwéi), et le « laisser faire la nature »(zìrán).

        On pourrait aussi penser, comme Daisetz Suzuki, que le Chán (Zen) est irrationnel, illogique et dépasse complètement la compréhension humaine (7). Mais Húshì, qui était en désaccord avec lui, a argumentéque « sous toute la folie et la confusion apparentes, il y a une méthode consciente et rationnelle qui peut être décrite comme une méthode d’éducation « à la dure », en laissant l’individu découvrir des choses par ses propres efforts et sa propre expérience »(8).

        En effet, l’un des principes du Chán est de « ne pas dire ouvertement »(shuō pò), d’une partparce que pour lui la vérité ne peut pas être exprimée en mots et en écritures, mais par transmission directe d’esprit à esprit, et d’autre part parce qu’il faut laisser à l’élève faire des efforts pour découvrir la vérité par eux-mêmes.

        C’est ainsi que le Maître, notamment de la lignée Línjì, distribue à chaque élève un gōng’àn, à garder constamment à l’esprit comme un sujet de devoir, pendant des années, jusqu’au jour où éclate brusquement la réalisation, ou la compréhension totale, que l’on appelle Eveil.

        Il se peut aussi que l’élève n’y arrive pas. Il emprunte alors la méthode du«  voyage à pied» (xíngjiǎo), à la recherche d’un autre Maître, et peut passer de longues années à voyager et à étudier sous la direction de plusieurs maîtres, à accumuler des observations et des expériences de la vie, jusqu’au jour où la compréhension survient d’un seul coup, déclenchée par une vision, un bruit, ou quelque chose d’insignifiant.  

        Beaucoup de gestes ou de réponses apparemment incongrus de Maîtres Chán visent en fait à ramener l’élève (ou l’interlocuteur) à la réalité de l’instant, au lieu de laisser son esprit divaguer dans l’imaginaire et le discours. Ceci est parfois brutal, créant un choc psychologique, susceptible d’apporter ce qu’on appelle un Eveil subit.

Récapitulons la généalogie des Maîtres Chán :

        Parmi les élèves de Huìnéng (638–713), hormis Shénhùi, on comptedeux chefs de file: Nányuè Huáiràng (677–744) et Qīngyuán Xíngsī (660 – 740), chacun ayant un disciple remarquable, respectivement Mǎzŭ Dàoyì (709–788) et Shítóu Xīqiān (700–790).

        Parmi les nombreux élèves de Mǎzŭ Dàoyì, deux se détachaient du lot: Nánquán Pǔyuàn (748-835), dont l’élève le plus brillant fut Zhàozhōu Cóngshěn (778-897), mais dont la lignée s’éteignit rapidement, et Bǎizhàng Huáihái (720-814), auteur d’un recueil de règles de la vie monastiques appelé « Règles pures de Bǎizhàng », et de la célèbre formule: « Un jour sans travail, un jour sans nourriture ».

        Le successeur de Bǎizhàng Huáihái, Huángbò Xīyùn (?–850) fut aussi un remarquable enseignant et avait comme disciple Línjì Yìxuán (?–866), fondateur de l’Ecole Línjì.

        Bǎizhàng Huáihái avait deux autres disciples: l’un, Guīshān Língyòu (771-853), qui avec son élève Yǎngshān Huìjì (807-883), fonda l’Ecole Guīyǎng, l’autre, Wúyāntōng (759?-826) qui partit vers le sud, au Viêt Nam.

        Quant à l’Ecole Línjì, après plusieurs générations, elle se divisa en deux branches, celle de Yángqí (992–1049) et celle de Huánglóng (1002–1069), dont sera issue l’Ecole japonaise d’Eisai.

        Parallèlement à la branche de Mǎzŭ Dàoyì, Shítou Xīqiān développait une lignée conduisant à Dòngshān Liángjiè (807 – 869), qui avec son disciple Cáoshān Běnjì (840 – 901), alla fonder l’Ecole Cáodòng, dont sera issue l’Ecole japonaise de Dōgen.

        Enfin, une autre lignée de Shítou était celle conduisant à Xuěfēng Yìcún (822-908), lequel aura un disciple de 2è génération Fǎyǎn Wényì (885-958), fondateur de l’Ecole Fǎyǎn. Xuěfēng Yìcún avait également comme disciple Yúnmén Wényǎn (864-949), fondateur de l’Ecole Yúnmén, célèbre par la formule : « Chaque jour est un bon jour ». Yúnmén lui-même avait comme disciple Xuědòu Chóngxiǎn (980 – 1052).

III. L’histoire du Chán dans d’autres pays d’Asie orientale

        A) Le Viêt Nam

        est le premier pays où le Chán s’est diffusé à partir de la Chine du Sud, en raison de sa proximité géographique.

        En dehors des Ecoles Línjì (Lâm Tế)et Cáodòng (Tào Động) venant de Chine, le Viêt Nam compte 4 Ecoles ou lignées Thiền (ou Thiền tông).

        1/ La première Ecolefut celle de Vinītaruci, moine indien venu en Chine, qui sur les conseils de son maître le 3è Patriarche Sēngcàn, est parti en 580 vers le sud s’établir au Viêt Nam (à l’époque sous domination chinoise et correspondant à la province Giao Châu), à la Pagode Pháp Vân, devenue Dâu, près de l’ancienne cité Luy Lâu. Son élève Pháp Hiền lui succéda à la tête de cette lignée, comptant 19 générations jusqu’au 13è siècle. On peut donc dire que le premier Maître Thiền (thiền) viêtnamien était Pháp Hiền.

        2/ La deuxième Ecolefut celle de Vô Ngôn Thông(Wúyāntōng), disciple de Bǎizhàng Huáihái, arrivé au Viêt Nam en 820, à la Pagode Kiến Sơ, près de Hanoi. Les moines Khuông Việt, Mãn Giác, Thông Biện, Minh Không, de la Dynastie des Lý au 11è siècle, appartiennent à cette lignée, qui comptait 17 générations jusqu’au 13è siècle.

        3/ La troisièmeEcolefut fondée par Thảo Đường, un moine chinois de l’Ecole Yúnmén,élève de Xuědòu Chóngxiǎn. Capturé par hasard lors d’une campagne auChampa en 1069 par le roi Lý Thánh Tông, il fut découvert par le roi et nommé par la suite moine-conseiller national. Parmi les élèves de cette lignée, on compte le moine Không Lộ, trois rois et plusieurs mandarins. Elle a duré 6 générations et s’éteignit aussi vers le 13è siècle.

        4/ La quatrièmeEcole, Trúc Lâm,est particulière par son origine purementviêtnamienne, et son fondateur le roi Trần Nhân Tông (1258–1308). Elle est issue d’une ancienne Ecole Thiền Yên Tử, située sur la colline du même nom, au nord du Đại Việt (nom du Viêt Nam à l’époque), dontfaisait partiele roi Trần Thái Tông,le grand-père de Trần Nhân Tông,et Tuệ Trung Thượng Sĩ,son oncle et précepteur. A 35 ans,Trần Nhân Tông se retira des affaires de l’Etat, pour devenir moine (Trúc LâmĐầu Đà) et fonder l’Ecole Trúc Lâm, devenant ainsi le Premier Patriarche de cette Ecole.Le second Patriarche fut Pháp Loa, et le 3è Huyền Quang.

        L’Ecole Trúc Lâmest censée être la continuation et aussi la synthèse desEcoles Chánet Thiền antérieures. Dans l’ensemble, le Thiền viêtnamien n’est pas iconoclaste, mais simple et pragmatique, comme le montre ce poème du roi Trần Nhân Tông, « Cư trần lạc đạo »:

        « Pour vivre heureux la Voie dans le monde, il suffit de s’adapter.

        Manger quand on a faim, dormir quand on a sommeil,

        Ne point rechercher ailleurs le trésor qui est en soi.

        En gardant le non-mental devant toute chose, à quoi bon demander ce qu’est le Thiền? »

        Sous les Dynasties des et des Trần (11è-14è siècles), le bouddhisme se développait remarquablement, atteignant son apogée ou son « âge d’or », avec une nette prédominance des Ecoles Thiền. Mais peu à peu, sans doute à cause de son message plutôt élitiste, peu compréhensible par le peuple, les Ecoles Thiền perdaient du terrain au profit de l’Ecole de la Terre Pure, comme dans d’autres pays d’Asie orientale, en même temps que le confucianisme redevenait plus influent à la Cour.

        Un renouveau de l’Ecole Trúc Lâm a été tenté au 18è siècle sous les Tây Sơn par un grand lettré mandarin, Ngô Thì Nhậm, mais n’a pas pu empêcher l’extinction de cette Ecole.

        Au 20è siècle, le Maître Thích Thanh Từs’est fixé la tâche de refaire vivre l’Ecole Trúc Lâm, en diffusant l’enseignement des 3 Patriarches de cette Ecole etdes premiers Patriarches du Chán (Hùikě, Sēngcàn, Huìnéng) et en le mettant en pratique dans une soixantaine de monastères au Viêt Nam.

        En même temps, le Maître Thích Nhất Hạnh, fondateur du Village des Pruniers, a développé une Ecole Thiềnplus moderne, basée sur la pratique de la Pleine Conscience (chánh niệm), et recevant un large écho dans le monde, surtout parmi les jeunes.

        Dans les autres monastères, en dehors de ceux du Theravāda dans le sud du pays, c’est un bouddhisme syncrétique qui est pratiqué, avec un mélange d’éléments du bouddhisme originel, dela Terre Pure, du Thiền, et du tantrisme.

        B) Le Japon

        Au 6è siècle, le bouddhisme fut introduit au Japon par la Corée, sous forme de scholastique avec copie de sūtra, puis au 9è siècle avec l’établissement des Ecoles Tendai (Tiāntái) et ésotérique Shingon (Zhēnyán)(9).

        Le Chán ne s’implanta au Japon qu’au 12è et 13è siècles, avec fondation de 2 Ecoles : Rinzai (de Línjìen Chine) par Eisai (1141-1215), et Sōtō (de Cáodòngen Chine) par Dogen (1200-1253).

        Eisai était un moine Tendai qui après un deuxième voyage en Chine où il fut initié à la pratique du Chán de l’EcoleLínjì, est revenu propager cette doctrine dans son pays. Malgré l’opposition des moines Tendai du mont Hiei, il réussit néanmoins à développer l’Ecole Rinzai, grâce à l’adhésion de la classe dirigeante militaire de Kamakura, capitale de l’époque. Son nom a aussi été associé à la coutume de boire du thé au Japon, ayant lui-même rapporté de Chine des graines de théier, et fait pousser les premiers plants de thé.

        Dogen était aussi un moine Tendai ayant  voyagé en Chine, mais est revenu dans une province lointaine Echizen, fonder un temple pour former des moines Sōtō, refusant tous les honneurs et une invitation à se rendre à la capitale. Son style sévère et rigide transparaît dans son principal ouvrage, le Shōbō Genzō (Oeil et Trésor du vrai Dharma).

        Pour lui, la pratique ne mène pas à l’Eveil, mais s’effectue dans un état d’Eveil. S’efforcer d’atteindre l’Eveil, c’est s’égarer. Le méditant en posture de lotus est le Bouddha, l’Eveillé.

        « Vous n'avez besoin ni d'encens, ni de prières, ni d'invocation du nom du Bouddha, ni de confession, ni d'Écritures saintes; asseyez-vous et faites za-zen ».

        C’est ce qu’on appelle « shikantaza », qui en japonais signifie « s’asseoir simplement ». Il n’y a pas de but à atteindre, car la voie est le but.

        C’est précisément l’accent mis par Dogen sur la coïncidence entre la pratique et son but, qui caractérise bon nombre de « voies » apparues plus tard : la voie du thé (chadō), la voie des fleurs (ikebana ou kadō), la voie des arts martiaux (budō), la voie du tir à l’arc (kyūdō)... C’est dans ce sens que le Zen a exercé une grande influence dans beaucoup de domaines de la vie au Japon.

        Parmi les figures remarquables du Zen, on peut citer Ikkyu (1394-1481) un moine Rinzai itinérant, très artiste et anti-conformiste. On raconte qu’il allait de porte en porte en brandissant un squelette accroché à un bâton et exhortait les gens par la formule : « Prenez garde ! Jetez votre idée d’un « moi » ! », et que dans le recueil posthume de ses poèmes, il parlait de maisons closes, de désir et d’extase sexuels... C’était lui aussi qui, en réponse à un élève lui demandant « quelle est la clé du Zen ? », répondit en écrivant à 3 reprises « nen », qui signifie « attention ».

        Takuan (1573-1645) est un moine Rinzai connu pour avoir appliqué l’esprit du Zen à l’art du sabre. Pour lui « Regarder les choses sans laisser l’esprit s’arrêter sur elles s’appelle ‘être immobile’ ». En effet, lorsque l’esprit s’arrête, toutes sortes de pensées discriminatoires surgissent, et il bouge en fait ; et inversement.

        Hakuin (1685-1768) est lui considéré comme le restaurateur du Rinzai, en remettant à l’honneur l’usage des ko-an, certains créés par lui-même, comme « Lorsque l’on frappe des deux mains, un son se produit; quel est le son d’une main? ». Ses écrits montrent la force de son ancrage dans le monde et son réalisme. « Cet endroit même est le pays de la fleur de lotus », ou « Ce corps-ci est le Bouddha ». Il est aussi reconnu comme l'un des plus grands peintres Zen japonais.

        Une troisième Ecole Zen moins connue est Ōbaku, fondée par un moine chinois Yǐnyuán Lóngqí (Ingen Ryūki en jap)(1592-1673), de l’Ecole Línjì, venu au Japon avec ses disciples. Cette Ecole est particulière par son syncrétisme avec le bouddhisme de la Terre Pure, mais aussi par l’introduction de nouveaux rites et coutumes de la Chine des Míng.

        C) La Corée

        Le Chán a été introduite en Corée vers la fin de la période Silla unifié, au 8è siècle, grâce à des moines qui ont voyagé en Chine et étudié le Chán, en suivant l’exemple du  premier Pŏmnang, élève du 4è  Patriarche Dàoxìn. De retour en Corée, ils ont fondé de multiples structures, appelées les « Neuf montagnes », c-à-d les temples servant de base à neuf branches du Seon, la plupart issues de la lignée de Mǎzǔ(10).

        Une figure importante dans son développement était le moine Chinul (1158-1210), fondateur du temple Sŏngwang sur le mont Chogye. Celui-ci a contribué à la réforme de l’ordre monastique, et à la mise en pratique du Seonen sefondantsur la pensée Huáyán. L’Ecole Chogye lui a survécu jusqu’à aujourd’hui, et l’Ecole dominante du Seonest l’Ordre Chogye.

        Parmi les Maîtres ayant contribué à son développement, il faut citer T’aego Pou (1301-1382) et Kihwa (1376-1433).

        Le Seon coréen est caractérisé par l’attention aux matières scripturales, doctrinales, rituelles et philosophiques aussi bien qu’à la pratique de la méditation, des discussions sur le Dharma par des maîtres reconnus, des études de ko-an et de dialogues.

        Dans son histoire tardive, il a été comme le reste du bouddhisme coréen, affecté par les persécutions des dirigeants Ch’osŏn confucianistes...

 

        Ainsi donc, le Chán né en Chine au 6è s., a fleuri au 8è s. et est arrivé à maturité au 10è s.. Il s’est propagé au Viêt Nam dès la fin du 6è s., en Corée au 8è s., atteignant son apogée dans ces deux pays au 13è s..

        Introduit au Japon beaucoup plus tard au 12è s., il est devenu le Zen, qui progressivement, s’est imposé comme une philosophie, un art de vivre, imprégnant de nombreux aspects de la vie, et faisant partie de la culture japonaise elle-même. C’est au 20è s. qu’il a été porté à l’attention de l’occident, qui découvrit alors que son origine était en fait bouddhiste et chinoise.

                        

                        

                                                                    TrinhDinh Hy

                                                                   13/03/2022

 

 

 

Références

(1) Xù gāosēng zhuàn (Tục Cao Tăng Truyện)(Suite de la biographie des moines éminents)de Dàoxuān (Đạo Tuyên), et Zǔtángjí (Tổ Đường Tập)(Anthologie de la Salle des Patriarches)(952).

(2) Zhèngdào gē (Chứng Đạo Ca)(Chant d’Eveil à la Voie), de Yǒngjiā Xuánjué (Vĩnh Gia Huyền Giác)(665-713).

(3) Heinrich Dumoulin

 Zen Buddhism: A History - A History in India and China, pp. 132-133

Macmillan Publishing Company, New York 1988

(4) Il s’agit de : Lìuzǔ néng chánshī bēi (Lục Tổ Năng Thiền sư Bi)(Monument bibliographique du 6è Patriarche Maître Chán Néng), de Wáng Wéi (Vương Duy) ; Yuánjiào jīng dàshū shìyì chāo (Viên Giác Kinh Đại Sơ Thích Ý Sao)(Commentaire détaillé du sūtra de l’Eveil Parfait, de Zōngmì (Tông Mật) ; Chán yuán zhū quán jí dōu xù (Thiền Nguyên Chư Thuyên Tập Đô Tự)(Préface générale à la Collection du matériel-source du Chán), de Zōngmì (Tông Mật) ; et Sòng gāosēng zhuàn (Tống Cao Tăng Truyện)(Biographie de moines éminents desSòng), de Zàn Níng(Tán Ninh).

(5) Ce sont : Shénhùi héshàng yí jí (Thần Hội hòa thượng di tập)(Oeuvres léguées par le Vénérable Shénhùi), éditées par Húshì en 1930 et traduites par Jacques Gernet dans « Entretiens du Maître de Dhyâna Chen-houei de Ho-tsö », Publications de l’Ecole française d’Extrême-Orient, Vol. XXI, Hanoi, 1949 ; Hézé Shénhùi chánshī yǔlù (Hà Trạch Thần Hội Thiền Sư Ngữ Lục)(Discours du Maître Chán Shên-Hui de Ho-tsê).

(6) Ferguson Andy

Zen's Chinese Heritage

Wisdom Publications, Boston MA, 2000

(7) Daisetz Teitaro Suzuki

Le non-mental selon la pensée Zen (traduit par Hubert Benoît)

Courrier du Livre, Paris, 1970

(8) Hu Shih

C’han (Zen) buddhism in China - Its history and method

Philosophy East and West, vol. 3, no. 1, University of Hawai’i Press, pp. 3–24, 1953

(9) Heinemann Robert

Ce monde et la « force de l’autre » : les chemins de la délivrance au Japon

Chapitre 9, in « Le monde du bouddhisme », sous la direction de Heinz Bechert et Richard Gombrich - Edit Thames & Hudson, 1998

(10) KeownDamien

A Dictionary of Buddhism

Oxford University Press, 2003

Traduction de noms chinois (enpinyin), japonais, coréens en viêtnamien

- Ān Lùshān = An Lộc Sơn

- Bǎizhàng Huáihái = Bách Trượng Hoài Hải

- Bǎotáng = Bảo Đường

- bìguàn  = bích quán

- Bodhidharma = Bồ Đề Đạt Ma

- budō = võ đạo

- Cáodòng = Tào Động

- Cáoshān Běnjì = Tào Sơn Bản Tịch

- chadō = trà đạo

- Chán= Thiền

- Chángān  = Tràng (Trường)An

- Chéngdū = Thành Đô

- Chinul = Trí Nột

- Chogye = Tào Khê

- Cóngróng lù = Thung Dung lục

- Dàoxìn = Đạo Tín

- Dàoyuán = Đạo Nguyên

- Déshān = Đức Sơn

- Dōgen Kigen = Đạo Nguyên Hi Huyền

- Dòngshān Liángjiè = Động Sơn Lương Giới

- Dūnhuáng = Đôn Hoàng

- Ēmí tuó = A Di Đà

- Eisai Myōan = Vinh Tây Minh Am

- Fǎbǎo tánjīng = Pháp Bảo Đàn Kinh

- Fǎhǎi= Pháp Hải

- Fǎróng = Pháp Dung

- Fǎyǎn = Pháp Nhãn

- Fǎyǎn Wényì = Pháp Nhãn Văn Ích

- Gānsù  = Cam Túc

- Gèliáo = Cát Liêu

- gōng’àn  = công án

- Guīshān Língyòu = Qui Sơn Linh Hựu

- Guīyǎng = Quy Ngưỡng

- Hǎinán  = Hải Nam

- Hakuin = Bạch Ẩn

- Hángsī = Hành Tư

- Hénán = Hà Nam

- Héngyuè = Hoành Nhạc

- Hézé = Hà Trạch

- Hóngrěn = Hoằng Nhẫn

- Hóngzhì Zhēngjué = Hoằng Trí Chánh Giác

- Huángbò Xīyùn = Hoàng Bá Hi Vận

- Huátái = Hoạt Đài

- Huáiràng = Hoài Nhượng

- Húběi = Hồ Bắc

- Húnán = Hồ Nam

- Húshì= Hồ Thích

- Huáyán= Hoa Nghiêm

- Huánglóng = Hoàng Long

- Huángméi= Hoàng Mai

- Hùikě = Huệ Khả

- Huìmíng = Huệ Minh

- Huìnéng = Huệ Năng

- Ikkyu = Nhất Hưu

- Jiāngxī = Giang Tây

- Jǐngdé Chuándēnglù = Cảnh Đức Truyền Đăng Lục

- Jīngāng jīng = Kinh Kim Cang

- Jìngtǔ = Tịnh Độ

- Jìngzhòng = Tịnh Chúng

- kadō (ikebana) = hoa đạo

- Kihwa = Kỷ Hoà

- kyūdō = cung đạo

- Léng jiājīng = Kinh Lăng Già

- Lǎozǐ = Lão Tử

- Liáng = Lương

- Línjì Yìxuán = Lâm Tế Nghĩa Huyền

- Lǐngnán  = Lĩnh Nam

- Liú Yǔxī= Lưu Vũ Tích

- Liǔ Zōngyuán = Liễu Tông Nguyên

- Lìuzǔ tán jīng= Lục Tổ Đàn Kinh

- Luòyáng = Lạc Dương

- Mahākāśyapa = Ma Ha Ca Diếp

- Mǎzǔ Dàoyì = Mã Tổ Đạo Nhất

- Míng = Minh

- Mògāo = Mạc Cao

- Nánquán Pǔyuàn = Nam Tuyền Phổ Nguyện

- Nányuè Huáiràng = Nam Nhạc Hoài Nhượng

- niān huā wēi xiào = niêm hoa vi tiếu

- Níutóu = Ngưu Đầu

- Ōbaku = Hoàng Bách

- Pŏmnang = Pháp Lãng

- Pǔjì= Phổ Tịch

- Qīngyuán Xíngsī = Thanh Nguyên Hành Tư

- Rinzai = Lâm Tế

- Sēngcàn = Tăng Xán

- Shàolín = Thiếu Lâm

- Shénhùi = Thần Hội

- Shénxiù= Thần Tú

- shikantaza= chỉ quản đả tọa

- Shítóu Xīqiān = Thạch Đầu Hi Thiên

- Shōbō Genzō = Chánh Pháp Nhãn Tạng

- Sìchuān = Tứ Xuyên

- Sòng = Tống

- Sŏngwang = Thánh Vương

- Sōtō = Tào Động

- Suí = Tùy

- T’aego Pou = Thái Cổ Phổ Ngu

- Takuan = Trạch Am

- Táng= Đường

- Tiāntái = Thiên Thai

- tóutuó = đầu đà

- Vinītaruci = Tỳ Ni Đa Lưu Chi

- Wànsōng Xíngxiù = Vạn Tùng Hành Tú

- Wáng Wéi = Vương Duy

- Wúménguan = Vô Môn quan

- Wúmén Huìkāi = Vô Môn Huệ Khai

- wúwéi = vô vi

- Wúyāntōng = Vô Ngôn Thông

- wúzhī = vô tri

- Wúzhù = Vô Trụ

- = Võ (Vũ)

- Zétiān = Võ () Tắc Thiên

- Wǔzōng= Võ Tông

- xíngjiǎo = hành cước

- Xuānjiàn = Tuyên Giám

- Xuánng = Huyền Tông

- Xuědòu Chóngxiǎn = Tuyết Đậu Trùng Hiển

- Xuěfēng Yìcún = Tuyết Phong Nghĩa Tồn

- Yángqí = Dương Kỳ

- Yǎngshān Huìjì = Ngưỡng Sơn Huệ Tịch

- Yìfú= Nghĩa Phúc

- Yǐnyuán Lóngqí = Ẩn Nguyên Long Kỳ

- yīng wú suǒ zhù ér shēng qí xīn = ưng vô sở trụ nhi sanh kỳ tâm

- Yǒngjiā Xuánjué = Vĩnh Gia Huyền Giác

- Yuánjué jīng= Kinh Viên Giác

- Yúnmén = Vân Môn

- Yúnmén Wényǎn = Vân Môn Văn Yển

- Zhàozhōu Cóngshěn = Triệu Châu Tòng Thẩm

- Zhèngdào gē = Chứng Đạo Ca

- Zhíshēn = Trí Sân

- Zhuāngzǐ= Trang Tử

- Zīzhōu = Tư Châu

- Zōngmì = Tông Mật

- zuòchán = tọa thiền

- Zǔtángjí = Tổ Đường Tập