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Science et bouddhisme

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I. Introduction

        Ce thème de la comparaison entre la science et le bouddhisme a déjà été traité par plusieursauteurs, plus souvent bouddhistes que scientifiques (1). Leur conclusion paraît souvent assez simpliste, comme : « La science apporte à l’homme de plus en plus de connaissances et de confort matériel, mais elle est incapable d’apporter le développement et le bonheur spirituels, ce que permet de faire le bouddhisme ».

        Certains font même l’apologie du bouddhisme, en citant Albert Einstein : « S’il existe une religion qui pourrait être en accordavec les impératifs de la science moderne, c’est le bouddhisme », sans savoir que cette citationn’a jamais été authentifiée. D’autres vont jusqu’à affirmer : « Le Bouddha savait déjà il y a 2500 ans ce que les scientifiques occidentaux ont commencé à découvrir il y a quelques siècles »...

        En réalité, on ne peut comparer que des choses comparables, sur des critères précis. Par exemple, on peut comparer la taille ou le poids de deux objets, mais on ne peut pas comparer un son à une couleur, ou une superficie à une température. Et surtout, il faut bien définir les objets de la comparaison.

        C’est là que l’on s’aperçoit qu’il n’y a pas une science, mais plusieurs sciences, et un bouddhisme mais plusieurs bouddhismes, chacun avec ses caractéristiques.

        Lorsqu’on parle de la science, il s’agit de la science en général, qui est définie comme « un ensemble de connaissances et d’études, d’une valeur universelle, caractérisé par un objet et une méthode déterminés, et fondées sur des relations objectives vérifiables » (2).

        Quant aux sciences (au pluriel), il s’agit de branches de connaissance et d’études, dans divers domaines, qui se sont multipliées avec le temps. Elles peuvent être regroupées aujourd’hui en 3 branches majeures:

        1) Les sciences naturelles (physique, chimie, biologie), étudiant la nature au sens large.

        2) Les sciences humaines (psychologie, sociologie, économie), étudiant l’individu et la société.

        3) Les sciences formelles (logique, mathématiques, informatique), traitant des symboles régis par des lois et des règles, mais qui ne sont pas empiriques comme les précédentes.

        Certaines sciences peuvent être à cheval sur 2 branches, par exemple la psychologie, qui peut être considérée à la fois comme science naturelle et humaine.

        Enfin, sont appelées sciences appliquées les disciplines qui utilisent les connaissances scientifiques existantes dans un but pratique, comme l’ingénierie, la médecine.

        Quant au bouddhisme, dont l’histoire s’étend sur plus de 25 siècles, il ne peut être pris comme une entité unique, un ensemble monolithique, mais doit être distingué en au moins deux courants philosophiques successifs :

        1) Celui enseigné par le Bouddha Gotama au 5è s. avant notre ère, rapporté par ses disciples dans les siècles suivants, fixé vers le 5è s. de notre ère dans le Canon Pali, et préservé par la branche du Theravāda (Véhicule des Anciens), au Sri Lanka et en Asie du SE.

        2) Celui développé ultérieurement par les patriarches et les auteurs des Discours et des Commentaires de la branche du Mahāyāna (Grand Véhicule), laquelle s’est subdivisée en plusieurs Ecoles, principalement aujourd’hui l’Ecole dela Terre Pure et les Ecoles de Méditation (Chán, Zen ou Thiền) en Asie Orientale, et les Ecoles du Véhicule du Diamant (Vajrayāna) au Tibet et dans les pays voisins.

        Les développements ultérieurs du bouddhisme, au fur et à mesure que les centres bouddhiques se sont déplacés, d’abord vers le NO de l’Inde, dans la région du Gandhara, au NE de l’Afghanistan et au N du Pakistan, ensuite en direction de l’Est, à travers les steppes et les déserts de l’Asie Centrale, vers la Chine, l’ont beaucoup modifié, avec des Ecoles plus ou moins éloignées du modèle initial.

        Nous allons dons parler essentiellement du bouddhisme originel, c’est-à-dire de la doctrine philosophique du Bouddha Gotama, en précisant au passage d’éventuelles différences avec les Ecoles ultérieures du Mahāyāna.

II. Quelles sont les points communs, ou les convergences entre la science et le bouddhisme ?

        1) Un objectif commun : la connaissance.

        Rappelons que scientia en latin signifie « connaissance ». Bouddha a comme racine bud, en sanskrit, qui signifie « savoir ». Le terme voisin bodhi signifie « éveil », le fait de s’éveiller à la connaissance, à la lumière de la connaissance, d’où le synonyme « illumination ».

        Dans la tradition Indienne ancienne, on distinguait 3 voies de délivrance : la voie de l’action rituelle, ou karma-mārga ; la voie de la foi-dévotion, ou bhakti-mārga ; et la voie de la connaissance profonde, ou prajñā-mārga (3). Le bouddhisme fait partie de la 3è voie, celle de la connaissance profonde.

        2) L’étude des phénomènes.

        La science et le bouddhisme sont tous deux des phénoménologies, c’est-à-dire qui ne s’occupent que des phénomènes, des faits observables et vérifiables par l’expérience. Ils écartent toutes les questions métaphysiques et ontologiques, telles l’existence de Dieu, l’origine de l’univers, du temps, etc.

        Le Bouddha a toujours refusé de répondre aux questions « non appropriées » (avyākata), sans réponses, comme « l’univers est-il infini ou non, éternel ou non, où va l’âme du tathāgata après la mort, l’âme et le corps sont-ils différents ou la même chose, etc. », en gardant le silence, ou bien en utilisant le parabole de l’homme blessé parune flèche (4): « Supposons, dit le Bouddha, qu'un homme soit gravement atteint d'uneflèche, qu’on lui fasse venir un médecin et qu’il dise : "Je ne veux pas qu'on me retire cetteflèche, avant de savoir qui m'a blessé, de quellecaste il est, de quel village il est né, de quel arc ils'est servi, de quelle matière a été faite la flèche, dequelle direction elle a été tirée". Alors cet hommemourrait certainement avant d'avoir des réponses»....

        Le bouddhisme ne s’intéresse qu’à un phénomène, la souffrance, comme  a déclaré le Bouddha : « De même que l’eau des océans n’a qu’une saveur, le salé, mon enseignement n’a qu’un seul objet, la délivrance de la souffrance ».

        Ce n’est que quelques siècles après sa disparition, que s’opérait, vers le début de notre ère, un retour à l’essentialisme (qui existait à l’époque du brahmanisme), avec des considérations métaphysiques apparues avec des sūtra du Mahāyāna, comme : la Vérité absolue, ultime, la Vacuité, l’Ainsité, la Nature-de-Bouddha, la conscience-réceptacle (ālayavijñāna)...

        3) La véritérelative

        Dans la science, la notion de vérité -objet de sa recherche – est toute  relative, et dépend du système scientifique dans lequel on se trouve. Elle peut donc évoluer avec le temps: la vérité de demain ne sera pas nécessairement celle d’aujourd’hui, car dans un autre système. On parle alors de révolution scientifique ou de changement de paradigme.

        Dans le bouddhisme originel, la vérité (sacca) est celle découverte par le Bouddha, notamment dans la pierre angulaire de son enseignement, les 4 Nobles Vérités (cattāri-ariya-saccāni), qui sont les vérités relatives sur le fonctionnement du monde. Le Bouddha n’a jamais parlé de Vérité absolue, avec un grand V.

        Par contre, dans les développements ultérieurs du bouddhisme en Inde puis en Chine, au début de notre ère, en Mahāyāna, est apparue la notion de Vérité absolue, ultime (paramārtha-satya),synonyme de la Nature-de-Bouddha, de l’Ainsité, de la Vacuité, etc..., s’opposant à la Vérité relative, conventionnelle (samvṛti-satya), enseignée par le Bouddha.

        4) L’esprit critique, la raison et l’expérience

        A la différence avec d’autres maîtres spirituels, le Bouddha ne demande pas à ses disciples de croire en lui, mais d’examiner toutes les propositions, et de les soumettre à l'épreuve de la raison et de l'expérience.

        Ainsi, aux Kalāmā, habitants de la petite ville de Kesaputta, qui lui posaient la question à qui croire quand des brahmanes ou des ascètes venaient prêcher leur doctrine, le Bouddha répondit : "Ne prenez pas pour vrai tout ce qu'on vous dit, même si ces paroles viennent de votre maître. Ne prenez pas pour vrai tout ce qui est écrit, même si ces écritures viennent d'hommes sages. Ne prenez pas pour justes toutes les traditions, les rumeurs, les déductions, les analogies de toutes sortes. Mais lorsque vous savez par vous-mêmes que certaines choses sont fausses et mauvaises, alors renoncez-y. Et lorsque par vous-mêmes vous savez que certaines choses sont bonnes et vraies, alors acceptez-les et suivez-les ".(5)

        Une expression souvent utilisée par le Bouddha est « Ehi passiko ! », qui signifie en Pali « Venez voir par vous-même », afin d’inviter les gens à venir voir les choses à la source, et les expérimenter par eux-mêmes.

       5) La confiance, plutôt que la foi

        La science n’est pas basée sur la foi, mais sur la raison. Les scientifiques s’appuient sur les connaissances acquises antérieurement, et transmises par ceux qui les ont précédés.

        En Inde, il existe 2 termes pour désigner la foi ou la croyance : 1) la foi-dévotion (bhakti), et 2) la foi de confiance (saddhā).

        Dans le bouddhisme originel, il s’agit de la foi de confiance (saddhā), c-à-d de la confiance que l’on porte à un maître et un guide (le Bouddha), et à une voie (le Dhamma), et non pas de la foi-dévotion envers une divinité ou un être surnaturel.

        C’est plus tard, avec la transformation de la doctrine bouddhique en une religion, et l’apparition de multiples Bouddha et Bodhisattva, qu’apparaîtra la foi-dévotion en eux et leur culte.

        6) La loi de cause à effet ou le déterminisme

        Dans la science, c’est le déterminisme scientifique, stipulant que « telle cause détermine tel effet », qui a longtemps prévalu dans la mécanique classique, à l’échelle macroscopique, avant d‘être remis en question dans la mécanique quantique, par les principes d’incertitude et d’incomplétude.

        Dans le bouddhisme, la notion de karma, qui existait même avant le bouddhisme, autrement dit la loi de cause à effet, est essentielle, car elle détermine en grande partie la conduite éthique : une bonne action (bon karma) entraîne un bon effet; une mauvaise action (mauvais karma) entraîne un mauvais effet. C’est ainsi qu’en extirpant les racines de la souffrance, on arrive à faire cesser celle-ci.

        7) La vision holistique du monde

        Cette vision s’impose d’emblée dans le bouddhisme, dans sa théorie centrale de la Production conditionnée (paṭicca-samuppāda), ou Production en dépendance, résumée en quelques phrases. « Quand ceci est, cela est. Ceci apparaissant, cela apparaît. Quand ceci n’est pas, cela n’est pas. Ceci cessant, cela cesse »(6).

        Dans tout l’univers, tous les éléments sont liés, interconnectés, interdépendants, interagissant entre eux.

        En science, cette vision holistique de l’univers devient de plus en plus évidente, que ce soit dans le fonctionnement en réseaux de neurones, ou sur la Toile, dans l’interaction des forces interstellaires ou subatomiques, dans les écosystèmes de la planète...

        Certes, il y a aussi des

III. Différences entre la science et le bouddhisme 

        1) C’est sur l’objet de la connaissance, qui est sans limite pour la science, alors que pour le bouddhisme, il est limité à ce qui est utile à la cessation de la souffrance.

        Il est raconté qu’un jour  le  Bouddha se trouva dans un bosquet de siṃsapā, près de Kosambi. Il ramassa alors une poignée de feuilles et s’adressa à ses disciples : « Qu'en pensez-vous, ô moines : quelles sont les plus nombreuses, les feuilles dans ma main ou celles dans le bosquet ?" – Les feuilles dans le bosquet sont bien plus nombreuses que celles dans votre main, Bienheureux ! – En effet, moines ! De la même manière, les choses que je connais sont bien plus nombreuses que les choses que j’ai enseignées. Et pourquoi ne les ai-je pas enseignées? Parce qu'elles ne sont pas liées au but, ne sont pas utiles à la vie juste, et ne conduisent pas à l’éveil, à la cessation de la souffrance. C'est pourquoi je ne les ai pas enseignées »(7).

        En outre, la connaissance dans le bouddhisme est une connaissance profonde, complète (paññā en pali, prajñā en skt) des réalités du monde (l’impermanence, le « non soi », la souffrance), telles que l’on ressent directement, comme l’a fait le Bouddha.

        2) Une autre différence est que la science traite des réalités objectives du monde, alors que le bouddhisme s’occupe des réalités subjectives de la conscience humaine. C’est en cela qu’elle est une spiritualité, c-à-d une méthode d’investigation et de direction intérieure de l’esprit.

         Mais ce qui est important de noter, c’est que le bouddhisme est aussi une science.

IV. Le bouddhisme est une science de l’esprit

         Il peut être considéré comme une psychologie, le Bouddha étant le premier penseur à noter que ce que l’on appelle l’âme ou l’esprit, le « soi » (attā), est en réalité formé d’un ensemble de 5 agrégats (khanda), de formes ou corporéalité (rūpa) et de fonctions mentales, comme les sensations (vedanā, thọ), les perceptions (saññā), les formations mentales (saṅkhāra) et les consciences (viññāṇa). Les consciences sont celles correspondant aux objets des sens, mais aussi aux objets mentaux, c-à-d aux pensées, souvenirs, et émotions.

        C’est une psychologie appliquée, car le Bouddha a montré que l’esprit peut être modifié grâce à un entraînement mental, la méditation, dont nous reparlerons.

        C’est surtout une médecine de l’esprit, une psychothérapie, leBouddha ayant fait preuve, dans son premier discours sur les « Quatre Nobles Vérités », d’une véritable démarche médicale :

        1) la première vérité sur la souffrance, est le diagnostic nosologique de la maladie ;

        2) la deuxième vérité sur l’origine de la souffrance, est le diagnostic étiologique de la maladie ;

        3) la troisième vérité sur la cessation de la souffrance, est le pronostic de la guérison ; enfin

        4) la quatrième vérité sur la voie qui mène à la cessation de la souffrance, est le traitement de la maladie.

        Il a d’ailleurs été appelé Bhaiṣajyaguru, le « Maître de Médecine », qui est aussi le nom donné à l’un des Bouddha du Mahāyāna apparus ultérieurement.

V. La rencontre entre la science et le bouddhisme : les neurosciences et la méditation

        Les neurosciences n’ont vraiment débuté que vers la deuxième moitié du 19è s. en occident, avec la mise en évidence de la relation entre un trouble du fonctionnement psychique et une lésion du cerveau, avec deux types de troubles du langage, l’aphasie expressive de Broca et l’aphasie réceptive de Wernicke, correspondant à des lésions dans deux régions différentes du cerveau.

        Ultérieurement, de plus en plus de correspondances ont été établies, non seulement au niveau macroscopique, avec une véritable cartographie anatomo-fonctionnelle du cortex cérébral, mais encore au niveau microscopique, cellulaire, avec la description du neurone au début du 20è s., et vers la fin du 20è s., le développement fulgurant de l’imagerie médicale, avec le PET-scan et l’IRM fonctionnelle, et de l’électrophysiologie, devenant de plus en plus précis, avec des résolutions spatiales de l’ordre du mm, et temporelles de l’ordre du centième de seconde.

        C’est là où s’est produite la rencontre entre la science et le bouddhisme, par le biais du rapprochement entre les neurosciences et la méditation.

        Cette rencontre a été favorisée par la fondation en 1987 de l’Institut « Mind and Life », réunissant des psychologues et neuroscientifiques autour du 14è Dalai-Lama, dans le but d’établir des passerelles entre les sciences et le bouddhisme.

        A partir des années 1980 également, la méditation de « pleine conscience » (ou mindfulness) a été appliquée en médecine pour traiter des maladies liées au stress, par Jon Kabbat-Zinn, professeur de biologie à l’Université du Massachusetts, inspiré par la méditation enseignée par le Maître Zen Thich Nhât Hanh, au Village des Pruniers.

        La méthode MBSR (mindfulness-based stress reduction) et les méthodes apparentées, regroupées sous le nom de MBI (mindfulness-based interventions), ont été ainsi appliquées sur des millions de patients dans le monde, validées scientifiquement et enseignées dans des universités médicales.

        Cette rencontre, on pourrait même dire cette coopération, a été particulièrement fructueuse, pour la science aussi bien que pour le bouddhisme.

        - Du côté de la science, la compréhension du fonctionnement cérébral s’est accélérée grâce aux études scientifiquessur la méditation, et plus particulièrement sur l’attention, qui était à la base de la méditation bouddhique. La juste attention,appelée sammā-sati en pali, zhèngniàn en chinois, a été enseignée par le Bouddha lui-même, dans 2 sutta : le Satipaṭṭhāna (Etablissement de l’attention)et le Ānāpānasati (Attention à la respiration).

        Depuis l’année 2000, le nombre de publications médicales sur la « méditation de pleine conscience » a progressé de façon exponentielle, allantd’une douzaine par an en 2000, à près de 700 en 2015, atteignant sans doute aujourd’hui autour de 1000.

        - Du côté du bouddhisme, les méditants ont pu bénéficier de l’éclairage apporté par les neurosciences, sur les effets et les mécanismes d’action de la méditation, jusque là demeurés plutôt ésotériques et mystérieux.

VI. Plus qu’une science, le bouddhisme est aussi une éthique

        La science a pour seul objet la connaissance, quelle que soit son utilisation, ce qui veut dire qu’elle ne possède pas d’éthique en elle-même. Pour prendre un exemple, la science nucléaire permet de construire une centrale nucléaire pour fournir de l’énergie à des centaines de milliers de foyers, aussi bien qu’à fabriquer une bombe atomique pour détruire toute cette population.

        Le bouddhisme lui, est une éthique, c-à-d un ensemble de principes moraux guidant la conduite humaine.

       Cette éthique est basée sur les 4 Nobles Vérités, c-à-d la souffrance, l’origine de la souffrance, la cessation de la souffrance et le chemin qui y conduit.

        Ce chemin est formé de 8 sentiers, divisés en 3 groupes: celui de la conduite morale (sīla), avec l’action, la parole et les moyens d’existence justes ; celui de la concentration (samādhi), avec la concentration, l’attention et l’effort  justes ; et celui de la compréhension profonde (paññā), avec la vue et la pensée justes.

        Ainsi, on peut dire que le bouddhisme apporte à l’homme quelque chose de plus que la science, une éthique, qui est un ensemble de principes moraux guidant l’homme dans sa conduite de vie.

        Ceci dit, depuis quelques années, il commence à apparaître dans le milieu scientifique une question cruciale : « Les neurosciences pourront-elles un jour remplacer l’éthique et la loi ? »(8).

        En effet, étant donné que les progrès technologiques permettent de suivre l'activité du cerveau humain en temps réel, et de déterminer des corrélations entre l'activité neuronale et les fonctions mentales, avec de plus en plus de précision, on pourrait se poser la question si un jour, une compréhension complète des bases électrochimiques de l'esprit pourrait rendre caducs les concepts actuels d'éthique, de droit et même de libre arbitre, jusqu’à les remplacer éventuellement? (9)

        Nous ne rentrerons pas dans ce débat qui ne fait d’ailleurs que commencer.

        Mais on s’achemine en tout cas vers l’affirmation de l’unité du corps et de l’esprit, autrement dit que le cerveau et le mental sont la même chose. Comme déclarait sans détour le biologiste Derek Denton : « Le mental est ce que fait le cerveau ».

        C’était aussi sans doute ce que pensait le Bouddha, pour qui chaque individu était formé d’un ensemble d’agrégats de matières physiques et de fonctions mentales, inséparables et intimement liés.

VII. En conclusion

        On ne peut guère comparer la science et le bouddhisme, car il s’agit de deux domaines distincts, et par ailleurs très différents d’une branche à l’autre.

        Néanmoins, on peut souligner plusieurs points communs qu’ils partagent ensemble: l’objectif de la connaissance, la méthode phénoménologique, la recherche de vérités relatives, l’appui sur la raison et l’expérience, et non pas la foi et la métaphysique, la loi de cause à effet ou le déterminisme, et la vision holistique du monde avec interdépendance des choses.

        Une particularité du bouddhisme est qu’il est lui-même une science, une psychologie appliquée et une psychothérapie, visant à soulager la souffrance humaine par un entraînement mental, la « pleine conscience ». C’est en cela que réside en la rencontre entre les neurosciences et la méditation, se découvrant et s’éclairant mutuellement.

        Mais à la différence avec la science, qui en elle-même n’a pas d’éthique, le bouddhisme est aussi une éthique, un ensemble de principes moraux aidant chacun à agir dans le sens du bien, pour soi-même, pour les autres et pour la nature.

        Rappelons-nous l’avertissement de François Rabelais, médecin et écrivain humaniste français de la Renaissance: « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

 

Trinh Dinh Hy

23/01/2022

 

                                          Références

(1) Alan B. Wallace

Science et Bouddhisme - A chacun sa réalité

Edit Calmann-Lévy, 1998

(2) Alain Rey

Dictionnaire Historique de la langue française, et le Petit Robert de la langue française, 1990, 2016, 2021

(3) Heinrich Dumoulin

Understanding Buddhism: Key Themes

 Edit Weatherhill, 1994

(4) Paragraphe « Parabole du blessé »

Walpola Rāhula

L'Enseignement du Bouddha d'après les textes les plus anciens

Éditions du Seuil, 1961

https://boudah.pl/enseignement-du-bouddha-walpola-rahula

(5) Paragraphe « Responsabilité »

Idem

(6) Paragraphe « Production conditionnée »

Idem

(7) Paragraphe « Spéculations imaginaires inutiles »

Idem

(8) Thomas R. Scott

Neuroscience may supersede ethics and law

Sci Eng Ethics (2012) 18:433–437

(9) Christopher J. Frost, Augustus R. Lumia

The ethics of neuroscience and the neuroscience of ethics: a phenomenological -existential approach

Sci Eng Ethics (2012) 18:457–474