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Bases philosophiques et scripturaires des

Ecoles bouddhiques de méditation

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TRINH Dinh Hy

 

La notion de « méditation » (jhāna en pali, dhyāna en sanskrit, chán en chinois, zen en japonais, sŏn en coréen, et Thiền en viêtnamien) recouvre en fait deux entités distinctes: la méthode de méditation, et l’esprit qui anime les Ecoles bouddhiques de méditation en Asie orientale.

A l’origine, il s’agissait d’une méthode d’entraînement mental (bhāvanā), née en Inde il y a plusieurs milliers d’années, pratiquée essentiellement dans le yoga et le bouddhisme, mais aussi dans d’autres traditions spirituelles. Ce n’est que longtemps après l’expansion du bouddhisme, que sont apparues en Asie orientale des Ecoles de méditation, animées par une philosophie de vie particulière, en apparence assez éloignée de ses origines.

Cet esprit Zen, cette « doctrine du non-mental » comme l’a qualifiée Daisetz T. Suzuki en raison de son caractère anti-intellectuel, est difficile à définir, perceptible seulement à travers des anecdotes, des dialogues entre maîtres et élèves, ou des poèmes composés par des maîtres.

Le décalage entre ces deux modes de présentation peut susciter un certain nombre de questions:

1) Pourquoi les Ecoles de méditation sont-elles apparues aussi tardivement, plus de dix siècles après la disparition du Bouddha?

2) Comment est-on passé d’une méthode d’entraînement mental, visant à l’extinction de la souffrance, à une philosophie prônant la libération de l’esprit par un total détachement?

3) Quelles étaient les bases philosophiques des Ecoles de méditation, autrement dit sur quelles Ecritures sacrées se sont-elles appuyées?

4) Enfin partagent-elles certains concepts communs avec les autres Ecoles du Grand Véhicule?

La méditation bouddhique à ses origines

En reprenant l’histoire du bouddhisme, une remarque s’impose d’emblée: pendant une longue période, il n’existait aucune Ecole de méditation, ni en Inde ni dans les régions d’expansion du bouddhisme. La raison en est simple: la méditation joue un rôle central dans la pratique bouddhiste et fait partie intégrante de la doctrine.

En effet, la concentration (samādhi) fait partie des trois entraînements contre les afflictions et les souillures (kilesa), avec la moralité (sīla) et la sagesse ou compréhension profonde (pañña). Elle est aussi une composante des cinq forces, des six perfections, des sept facteurs d’éveilet de l’Octuple Sentier.

L’un des premiers enseignements du Bouddha sur la méditation est le Sūtra de l’Etablissement de l’Attention (Satipaṭṭhanā), considéré par le Maître lui-même comme le chemin unique (ekāyano-maggo), le plus direct conduisant à la délivrance. Il s’agit de porter son attention (sati en pali, sṃrti en sanskrit, niàn en chinois) dans les quatre domaines du corps, des sensations, de l’esprit et des objets mentaux, de façon à parvenir à la sagesse, la compréhension profonde de la réalité du monde selon le bouddhisme, c’est-à-dire les Trois Marques de l’existence (tilakkhaṇa) et les Quatre Nobles Vérités (cattāri ariya-saccāni).

Développer l’attention juste, la pleine conscience (samma-sati) fait partie de l’Octuple Sentier (aṭṭhāṅgika magga) de la sagesse, et reste le repère essentiel, la boussole de toute pratique de méditation bouddhique. Rappelons que le caractère chinois « niàn » s’écrit avec en haut le caractère « jīn » qui signifie « présent », et en bas le caractère « xīn » qui signifie « mental ». Samma-sati, zhèngniàn implique donc de « garder le mental au présent » et de ne pas le laisser vagabonder dans le passé et le futur, forcément imaginaires. On comprend ainsi l’inlassable effort des maîtres Chán de ramener l’esprit de leurs élèves au moment présent, que ce soit par une réponse absurde ou incongrue, sans aucun rapport avec la question, ou bien par des cris, des gifles, des torsions de nez et des coups de bâton…

Ultérieurement, cette méthode de méditation a été codifiée dans un ouvrage de référence du Véhicule des Anciens (Theravāda), qui est le Chemin de la Purification (Visuddhimagga), rédigé par Buddhaghoṣa au 5è s., distinguant l’état de « calme mental » (samatha) de celui de « vision pénétrante » (vipassanā). En Chine au 6è s., Zhìyĭ, le 3è patriarche de l’Ecole de la Plate-forme Céleste (Tiāntái), fera aussi la distinction entre zhǐ et guān, en développant 4 types de samādhi (sānmèi), dans plusieurs ouvrages dédiés à la méditation.

Les Ecritures sacrées du Grand Véhicule et leurs philosophies

A partir du 1er s. avant notre ère, soit quatre cents ans après la disparition du Bouddha, et ceci durant plusieurs siècles, s’est élaborée une abondante littérature bouddhique en sanskrit, celle du Grand Véhicule (Mahāyāna), traduite en chinois et transmise en Chine dès le 2è s. par la Route de la Soie, par des moines traducteurs originaire d’Inde du nord-ouest ou d’Asie Centrale, comme Ān Shìgāo, Lokakṣema, Dharmarakṣa, Kumārajīva, et bien d’autres encore, ainsi que des moines-pèlerins chinois comme Fǎxiǎn, Xuánzàng et Yìjìng, rapportant dans le sens inverse les Ecritures.

Ces sūtra (jīng) et leurs commentaires, les śāstra (lùn), peuvent être classés en deux principaux groupes: ceux développant le concept de « vacuité » (śūnyatā)et ceux véhiculant la notion d’« embryon ou matrice de Bouddha » (tathāgatagarbha).

1) La philosophie de la « vacuité » (śūnyatā) 

Le premier groupe est composé de la littérature de la Perfection de Sagesse (Prajñāpāramitā, Bōrě bōluómìduō) et de l’oeuvre philosophique de Nāgārjuna (Lóng shù) et son Ecole du Milieu (Madhyamaka, Zhōng guān). Pour Edward Conze, grand spécialiste de la Perfection de Sagesse, celle-ci était une compilation par des auteurs anonymes à partir du 1er s. avant notre ère jusqu’au 6è s. voire au-delà, évoluant en plusieurs périodes. La plus ancienne version, formée de 8000 vers et appelée Aṣṭasāhasrikā (bā qiān sòng), a subi une expansion allant jusqu’à 100000 vers, puis une contraction jusqu’aux 300 vers du Sūtra du Diamant (Vajracchedikā, Jīngāng jīng), encore que pour des auteurs japonais, ce célèbre Sūtra était d’apparition beaucoup plus précoce. Il constitue avec le Sūtra du Cœur (Hṛdaya, Xīn jīng), les deux plus connus des sūtra du Prajñāpāramitā, couramment récités dans les pagodes du Grand Véhicule.

L’œuvre du moine-philosophe Nāgārjuna, située vers la fin du 2è s. au sud-est de l’Inde, est principalement représentée par le Traité du Milieu (Mūlamadhyamaka-kārikā, Zhōnglùn), alors que les Commentaires sur la Perfection de Sagesse (Māhaprajñāparamitopadeśa, Dàzhìdù lùn) qui lui sont souvent attribués, n’étaient en fait qu’une œuvre chinoise tardive.

Le concept de « vacuité », considéré comme le summum, la quintessence de la philosophie du Grand Véhicule, et la base-même des Ecoles de méditation, est pourtant souvent mal compris.

Pour la Perfection de Sagesse et Nāgārjuna, tous les phénomènes sont « vides » (śūnya, kōng), c-à-d ont le caractère de « vacuité »  (śūnyatā, kōngxìng). « Vacuité » ne signifie pas que rien n’existe, mais que toute chose est vide d’existence propre, d’individualité, de permanence. Cette notion de « vacuité » est tout à fait différente de celle du taoïsme, auquel on a emprunté simplement le caractère kōng pour traduire śūnya. Dans le taoïsme, on insiste sur l’importance du « vide » dans un objet, par opposition au « plein » (par exemple une porte, un récipient, un trou de serrure), sans quoi l’objet n’existerait plus. Certes, le taoïsme a probablement influencé les Ecoles de méditation par son côté naturel, spontané, proche de la nature, au-delà des apparences et des mots. Mais la « vacuité » n’a pas du tout la même signification dans les deux systèmes philosophiques.

La « vacuité » de la Perfection de Sagesse et de Nāgārjuna est une vacuité-négation, que l’on peut remplacer par « ne pas… », « non… », et utiliser indifféremment les caractères chinois wú…, bù… ou fēi... Bien que le terme śūnyatā soit rarement mentionné dans le Canon pali, pour Nāgārjuna il découle directement des principes de la Coproduction conditionnée (paṭicca-samuppāda, yuánqǐ) et de la Voie du Milieu (madhyama-pratipad, zhōngdào), enseignés par le Bouddha. C’est ainsi qu’il déclare dès le premier verset du Traité du Milieu: « Je rends hommage au Bouddha, le pleinement éveillé, le maître suprême. Il a enseigné la Coproduction conditionnée, aboli toute spéculation, et apporté la paix et la sérénité », et poursuit: « Les choses apparaissent par la Coproduction conditionnée, que j’appelle śūnyatā, ou dénomination (prajñāpti), ou Voie du Milieu ».

La Voie du Milieu est aussi celle enseignée par le Bouddha,notamment dans le discours de Kaccayana  (dans le Samyutta Nikāya): « Ce monde se perd habituellement dans l’un ou l’autre point de vue, celui où ‘tout existe’ (c-à-d l’éternalisme) et celui où ‘rien n’existe’ (c-à-d le nihilisme). Evitant ces extrêmes, le tathāgata vous enseigne la Voie du Milieu. C’est la Coproduction conditionnée ».

Pour le Bouddha comme pour Nāgārjuna, la tendance naturelle de voir les choses comme ayant une existence propre, indépendante et permanente, est une erreur fondamentale, une vue erronnée, appelée diṭṭhi (en pali), dṛṣṭi (en sanskrit) ou jiàn (en chinois), à l’origine de toutes les souffrances du monde. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la « vacuité » n’est pas un concept de plus, auquel on risque de s’attacher, mais une thérapeutique consistant à abolir toute conceptualisation et à apporter ainsi la paix et la sérénité de l’esprit.

2) La philosophie de l’« embryon de Bouddha » (tathāgatagarbha)

 Le deuxième groupe d’Ecritures du Grand Véhicule est ceux dits du tathāgatagarbha, d’« embryon ou de matrice de Bouddha » (Rúlái zàng), bien que l’on ne trouve aucune Ecole à proprement parler supportant ce concept. D’après la théorie du tathāgatagarbha, tous les êtres vivants ont en eux un potentiel de devenir Bouddha, autrement dit sont des Bouddha en devenir. C’est aussi la « nature-de-Bouddha » (buddhata, Fóxìng), la « nature-propre » (svabhāva, zìxìng), sans naissance ni destruction, intrinsèquement pure et brillante. Cette notion, développée en même temps que la doctrine des Trois Corps (trikāya, sān shēn), dont le corps du Dharma (dharmakāya, Fǎshēn), qui est identifié à l'essence de tous les phénomènes.

Ces nouveaux concepts sont exposés dans plusieurs Sūtra connus du Grand Véhicule, comme le Sūtra du Lotus (Saddharma-pundarīka, Miàofǎ Liánhuā), le Sūtra de la Grande Extinction complète (Mahāparinirvāṇa, Dàbān Nièpán) en sanskrit, le Sūtra de la Descente à Laṅkā (Laṅkāvatāra, Léngjiā), classiquement considéré comme l’un des plus influents sur le Chán, le Sūtra du Rugissement du Lion de la Reine Śrīmālā (Śrīmālādevi-simhanāda, Shèngmán shīzĭhŏu), le Sūtra de l’Ornementation Fleurie (Avataṃsaka, Huáyán), le Sūtra de l’Action Héroïque (Śūraṅgama, Shǒuléngyán), etc. ainsi que dans le traité le plus important du Grand Véhicule, le Commencement de la Foi en le Mahāyāna (Mahāyāna-śraddhotpāda, Dàchéng qĭxìn lùn), longtemps attribué à Aśvaghoṣa, en fait reconnu maintenant comme une œuvre tardive rédigée en Chine.

A part cela, certains de ces Sūtra ajoutent encore leurs particularités: la notion de Véhicule Unique (ekayāna, yīchéng) du Parfait Bouddha et des « moyens habiles » (upāya-kauśalya, fāngbiàn) pour le Sūtra du Lotus, celle de Conscience-Réceptacle (ālaya-vijñāna, ālàiyē shí) propre à l’Ecole Esprit-seulement (citta-mātra, wéishí) pour le Sūtra de la Descente à Laṅkā. Enfin la notion grandiose de l’unité, de l’interpénétration de toutes choses dans l’univers, « Tout en un, un dans tout », pour le Sūtra de l’Ornementation Fleurie.

Les deux philosophies de la « vacuité » et de l’ « embryon de Bouddha » dans les Ecoles de méditation…

Reprenons maintenant, pour comprendre l’esprit des Ecoles de méditation, le célèbre gāthā attribué à Bodhidharma, et qui est en fait apparu beaucoup plus tard, sous l’impulsion du 6è patriarche Huìnéng:

« Ne s’appuyant pas sur les mots et l’écriture,

Transmis spécialement en dehors de l’enseignement,

Pointant directement le mental,

Voyant sa nature-propre, on devient Bouddha ». (bú lì wénzì, jiào wài biéchuán, zhí zhĭ rénxīn, jiànxìn chéng Fó)

On s’aperçoit que les trois premiers vers reflètent l’influence prépondérante de la « vacuité » développée dans la littérature de la Perfection de Sagesse et la philosophie de l’Ecole du Milieu. Ainsi toutes les histoires et anecdotes dans le Chán, le Zen, le Thiền visent essentiellement à promouvoir le détachement, le lâcher-prise, l’abandon de tous les préjugés et concepts, qui ne sont que des productions illusoires de l’esprit. D’après le Sūtra du Diamant: « Tout ce qui a une apparence est illusoire » et « il ne faut pas laisser l’esprit s’attacher à quoi que ce soit » (yīng wú suŏ zhù ér shēng qí xīn), phrase qui aurait produit l’illumination subite chez Huìnéng et le roi et maître Thiền Trần Thái Tông. L’esprit de la Voie du Milieu se manifeste aussi dans un gāthā de Từ Đạo Hạnh, un maître Thiền de la dynastie des au 11è s., comparant l’« être » et le « non-être » à l’image de la lune se reflétant dans l’eau, et recommandant de ne pas s’attacher à l’un ni à l’autre.

Par contre, le dernier vers du gāthā « Voyant sa nature-propre, on devient Bouddha » révèle l’influence des autres Sūtra du Grand Véhicule, développant le concept de « nature-de-Bouddha » ou d’« embryon de tathagata », c’est-à-dire la prédisposition à l’éveil, profondément enfouie en chacun, obscurcie par l’ignorance et les souillures, et qu’il suffit d’en prendre conscience pour la voir apparaître dans sa pleine clarté, et réaliser l’« illumination » (juéwù, satori en japonais).

Dans son Traité sur le Zen, Daisetz T. Suzuki a montré clairement la différence entre la notion de « regarder son mental » (kànxīn) et celle de « voir sa nature » (jiànxìng, kenssho en japonais). Le caractère chinois kàn est composé d’une main au-dessus d’un œil –comme pour scruter attentivement-, alors que jiàn n’est composé que d’un œil au-dessus d’un corps. Le Chán serait passé de l’étape du « regard attentif de son mental » à celle de la « vue spontanée de sa nature ». La première correspond à l’image de Bodhidharma assis enméditation 7 ans face à un mur, la deuxième celle de Huìnéng s’écriant après son illumination à la lecture du Sūtra du Diamant: « Qui aurait cru que la nature-propre est originellement pure, qu’elle est sans apparition ni disparition, qu’elle est intrinsèquement complète, qu’elle ne change ni ne dure, et que toutes choses viennent d’elle! » Dans cet épisode, relaté dans le Sūtra de l’Estrade (Fǎbǎotán jīng), Huìnéng a mis en avant la notion de « nature-propre » (zìxìng), alors qu’il a plutôt défendu la « vacuité » dans son gāthā en réponse à celui de son rival Shénxiù: « L’Eveil est sans arbre, et le miroir brillant sans support. Puisque originellement rien n’existe, où pourrait donc s’attacher la poussière? ».

…comme dans les autres Ecoles du Grand Véhicule

Ainsi, on peut dire que dans l’esprit du Chán coexistent les deux composantes « vacuité » et « nature-propre », comme dans les autres Ecoles du Grand Véhicule, bien que ce soit à des degrés divers.

La « vacuité » est prédominante dans le Chán, alors que la « nature-de-Bouddha » est essentielle dans les autres Ecoles, comme la Plate-forme Céleste (Tiāntái), l’Ornementation Fleurie (Huáyán)etla Terre Pure (Jìngtǔ), encore que pour cette dernière seule importe la dévotion en le Bouddha Amitābha ou Amitāyus (Āmítuófó), régnant dans la « Terre pure Occidentale de la Béatitude » (Sukhāvatī, Xīfāng jílè).

Il est également à noter les liens étroits unissant d’une part cette notion de « nature-propre », encore appelée « esprit vrai » (zhēnxīn), « esprit clair », « esprit d’éveil » (juéxìng), et d’autre part la notion d’« éveil subit » (dùn wù) de l’Ecole Chán du Sud de Huìnéng, s’opposant à l’« éveil graduel » (jiàn wù) de l’Ecole Chán du Nord de Shénxiù. « Voir sa nature-propre » (jiànxìng), n’est autre que s’éveiller subitement et « devenir Bouddha ».

Pourtant, sur le plan philosophique, il existe une contradiction profonde, voire une incompatibilité totale entre ces deux concepts. Le point de vue de la Perfection de Sagesse et de l’Ecole du Milieu, aussi bien que celui du Bouddha sur la « nature-propre » des choses (svabhāva, littéralement « existence en soi », zìxìng), est justement sa négation (niḥsvabhāva). Suivant la Coproduction conditionnée, rien ne peut exister de façon individualisée, indépendante, inchangée, éternelle. Toute chose n’existe que par la conjonction de divers facteurs, qui ensemble la produisent temporairement. De ce fait, il ne peut exister de « nature-propre », de « nature-de-Bouddha », d’« embryon de tathagata », etc. Affirmer la « nature-de-Bouddha », c’est nier la Coproduction conditionnée, et vice-versa.

Conclusion

En fait, tout dépend de la conception que l’on a de la « vérité », dont chacun poursuit la quête, plus ou moins consciemment, avec plus ou moins de conviction.

Pour le Bouddha, la vérité est ce qu’il a lui-même trouvé et enseigné: les Trois Marques de l’existence, les Quatre Nobles Vérités, la Coproduction conditionnée. Et lorqu’il parle de la réalité « telle qu’elle est » (yathā-bhūtaṃ), il entend la réalité que chacun vit et perçoit directement à chaque instant, et non pas la vérité absolue, ultime, imprégnant l’univers ou régnant ailleurs dans un autre monde. La réalité « telle qu’elle est » du Bouddha n’est pas l’« Ainsité ou la Vraie Ainsité » (tathāta, rúrú ou zhēnrú) du Grand Véhicule, synonyme de vérité absolue, ultime, éternelle, au-delà de toute conceptualisation, que les auteurs des Ecritures du Grand Véhicule - osons le dire -, ont subrepticement introduite à travers les notions de « nature-propre » et d’« embryon de tathāgata ».

Le Bouddha ne se préoccupe que du phénomène de la souffrance et de l’abolition de la souffrance, et non pas de l’essence, de la nature des choses, et c’est pour cela que le bouddhisme est considéré comme une phénoménologie. C’est également dans ce sens que Nāgārjuna, en expliquant les deux niveaux de vérité enseignés par le Bouddha, la vérité « relative, conventionnelle » (saṁvṛiti-satya) et la vérité « absolue, ultime » (paramārtha-satya), a affirmé que la seule vérité absolue est la « vacuité », et rien d’autre.

Force est de reconnaître que c’était un véritable tour de force, une exceptionnelle habileté, de la part de ces sūtra dits du tathāgatagarbha, d’avoir su développer une théorie paradoxale de « vraie vacuité = existence merveilleuse » (zhēnkōng miàoyŏu), et de faire croire que la vraie négation, c’est l’affirmation! De la « vacuité » initiale, on est arrivé à « la vraie vacuité, c’est l’existence », avec l’adjonction d’un qualificatif de « merveilleux ».

Cette théorie, en réveillant en quelque sorte l’« essentialisme » ou l’« absolutisme » de l’époque Védique, lequel a été un certain temps contenu par le bouddhisme originel, a ultérieurement rencontré un écho particulier dans une grande partie de la population d’Asie orientale.

La raison en est que la plupart des gens préfèrent croire en quelque chose de merveilleux (même si cela risque fort d’être une illusion), plutôt que de se contenter d’une « vacuité-négation », conduisant à une attitude de profond détachement, qu’ils ont du mal à accepter et à observer dans la vie quotidienne.

Villebon s/Yvette, 4/6/2017

TRINH Dinh Hy

Références

 

(1) Gombrich Richard F., How Buddhism Began, Routledge Taylor & Francis Group, 1996: 35-6

(2) Kalupahana David, History of Buddhist philosophy

(3) Williams Paul, Mahāyāna Buddhism, The Doctrinal Foundations, Routledge, 1989:222

(4) Nattier Jan, The Heart Sutra: A Chinese Apocryphal Text?, The Journal of the Association of International Buddhist Studies, 1992, Volume 15, Number 2:153-223