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Institut Bouddhique Truc Lâm - Trúc Lâm Thiền viện
Colloque sur "Bouddhisme et culture" & Hội thảo về "Đạo Phật và văn hóa" 05/06/2016

Bouddhisme et médecine tibétaine
(Phật giáo và Y học Tây Tạng)

Dr Stéphane Grès

1. Introduction

La paume (a) du Bouddha de la Médecine tournée vers l'extérieur symbolise la protection qu'il accorde. Elle est chargée du myrobolan, fruit de l'arbre considéré dans la tradition tibétaine comme la plus parfaite des plantes médicinales. Dans la main gauche du Bouddha repose un bol où sont disposée trois ambroisies: Le nectar qui soigne les malades et ressuscite les morts; le nectar qui prémunit contre le vieillissement; et le nectar intarissable qui illumine l'esprit et intensifie la faculté de comprendre. Ainsi que l'écrit le Dr Yeshi Donden [1]: "Le mot Bouddha désigne ceux qui se sont réveillés (boud-) du sommeil de l'ignorance [...] et dont la sagesse connaît tout (-dha) ce qui peut être connu [...]. En dépassant tous les obstacles à l'illumination suprême, ils acquièrent une conscience directe et plénière de la vérité ultime: que toutes les choses existent en interdépendance(b) et que rien n'est doué d'une nature propre indépendante."

2. Systémique et philosophie bouddhiste

La base de la souffrance des êtres est fondée sur une conception erronée du réel. La philosophie bouddhiste a donc pour objet l'étude introspective, l'examen et la prise de conscience de la nature profonde de l'esprit qui saisie en relation à son environnement. Cette saisie est dénommée en Tibétain "Tèn ching Prèl Djoung", c'est à dire "ayant une base apparaît une connexion". Le fondement de la conscience en tant que phénomène réflexif est selon la philosophie bouddhiste la cause de la souffrance des êtres vivants. Les modalités du processus qu'opère le sujet connaissant au monde se déploient du niveau grossier (corps) au niveau le plus subtil (esprit) sur la base de trois modalités: Désir, aversion et indifférence. La non compréhension de ce processus à l'œuvre et formant le monde "relatif" est à l'origine de la non-réalisation du bonheur, état fondamental de l'esprit. L'expérience demeure le fondement de la conscience et ceci peux "se voir" et s'expérimenter (Exemple de la pratique de "Samatha"(c )) au travers du corps humain qui comprend plusieurs niveaux d'existence. La pensée Tibétaine pose l'existence de trois corps d'éveil (d) .

Le niveau grossier s'applique plus spécifiquement au monde des phénomènes observables et perceptibles par les sens humains au contact. Le monde grossier est régit par des lois "simples": Très schématiquement: Tout ce qui a un début à une fin; Ce qui à une fin à un début, et l'entre deux est régit par les lois du karma selon les 12 facteurs d'interdépendances[2]. Le monde subtil concerne l'être, il est a-temporel et a-causal (indicible). Le trait caractéristique de la conscience) est qu'elle existe en interdépendance au sens ou il n'est pas possible de trouver une cause première ou dernière à son existence en essence (pas de Big-Bang pour l'être)...

Le schéma présenté "est une vue de l'esprit", néanmoins il permet de proposer une passerelle avec la systémique, ainsi que d'entre-apercevoir l'Homme comme un tout-en relation avec son environnement (la pensée tibétaine lui attribue un aspect intérieur/extérieur ainsi que secret ou entre-deux). Cette conception qui relie ici seulement trois niveaux pourrait être vue comme une façon d'expliquer la question délicate des relations corps/esprit qui n'apparaissent que dans une vision dualiste de la réalité. La philosophie bouddhiste proposant un chemin, une méthode pour mettre en échec cette vision (elle est erronée) au travers d'une série de techniques cognitives basées sur l'expérimentation du processus de la conscience pour atteindre l'éveil (l'état naturel de l'esprit fondement du bonheur auquel aspirent tous les êtres vivants) autrement dit la méditation (pratique de Lodjong par exemple) ainsi que les pratiques post-méditatives (pratique de Donglen).

3. Médecine Tibétaine et processus de résolution

Une des caractéristiques de la médecine tibétaine concerne son approche profondément ancrée dans un système de pensée centré sur la cause originelle de la souffrance, ainsi que le processus conduisant à sa cessation. Le chemin consiste à progressivement lever l'ignorance ou la non-compréhension que l'égo (le moi) n'est qu'une illusion et que celui ci n'existe qu'en relation. Dans ce cadre de pensée, le corps est lui aussi vu comme le résultat d'un processus, il apparaît sur la base de cinq éléments: Terre, Eau, Feu, Espace. Les cinq bases ont un ordre d'agrégation spécifique. Néanmoins il est nécessaire de préciser que les mots Terre, Eau, Feu, Espace qualifient quelque chose d'extérieur (en particulier pour un esprit occidental) mais dans le sens Tibétain, il semble qu'ils décrivent en premier lieu une série de qualité reconnaissables dans le milieu naturel où vivent les hommes. Par exemple pour l'élément terre, les qualités qui lui sont associées sont: lourde-stable-grossiere-douce-huileuse-sèche. L'élément terre compose en proportion majoritaire: la chair, les tissus, les os (aspect composant) ainsi que les systèmes sensoriels et les organes qui permettent d'entrer en relation avec le monde (aspect système créant les sensations par contact ponctuel). Au niveau global, l'homme est le résultat d'une combinaison des agrégats (Terre, eau, feu, espace), mais il est issu d'une cause, et d'une série de conditions favorable présidant à sa naissance.

Les éléments sont re-agrégés par couple qui forment les trois énergies Vent, bile et phlegme. L'objet de la médecine tibétaine est d'équilibrer les trois énergies pour éviter que le corps et l'esprit ne tombent malades [3]. L'aspect important à souligner est que la médecine tibétaine s'occupe avant tout des causes racines à l'origine de la souffrance que celle-ci soit d'origine physique ou psychologique, et bien qu'elles soient intrinsèques à la condition humaine. La non-connaissance (l'ignorance-facteur premier) est en effet présente dès la naissance de cette forme d'existence (les penseurs Tibétain la présente "comme une imprégnation, comme l'ombre ou l'odeur du corps"). L'ignorance représente l'origine des trois poisons qui se déploient comme la révélation d'un symptôme de dérégulation énergétique :

Dans ce "système" de pensée, les causes d'apparitions des maladies sont plurielles et variées. Elles résultent d'un contexte, d'un ensemble de circonstances dont un des aspects concerne l'individu et les relations qu'il entretient avec sa communauté. Les relations "sociales" sont d'ailleurs désignées comme "les lois de l'univers". La forme que peuvent adopter les maladies dans ce cadre d'interprétation est évolutive en fonction de ce qu'active le corps en rapport avec son intégrité (aussi) dans le contexte des relations sociales à une époque donnée. Du point de vue pratique, les maladies peuvent être explicables par des tendances internes (c'est à dire liées au comportement de l'individu) et/ou par des circonstances externes. La cause fondamentale restant l'égo, en tant qu'il est l'illusion fondamentale à la source des "trois poisons". Mais en deçà des causes spirituelles et au-delà de l'influence du Karma lié aux comportements dans les vies passées, la médecine tibétaine va chercher à voir la maladie, comme un symptôme qui concrétise une dérégulation énergétique au travers du corps physique. La maladie est donc le résultat et la manifestation d'un déséquilibre d'une des trois énergies, de façon combinée (ou non) dérégulation qui est elle-même facilitée par un ensemble de conditions déclenchantes et/ou "favorables", parmi lesquelles:

- Les perturbations mentales de l'esprit
- Le temps (la saison)
- Le comportement
- L'alimentation
- Les esprits maléfiques

Dans le cas de l'aspect fondamental, c'est à dire l'esprit en rapport avec le style de vie menée par l'individu. Le processus de résolution peut se déployer à différents niveaux en phase avec les corps du patient:

- Aspect grossier (ce que l'on mange, ce que l'on dit)
- Aspect subtil (ce qui est produit en méditation)
- Aspect extrêmement subtil (la bouddhéîté) c'est à dire la cessation de l'illusion origine

4. Conclusion

Les apports de la médecine Tibétaine concernent selon nous plusieurs aspects délaissés par la médecine occidentale et tout particulièrement une vision du malade comme un-tout-en-relation. L'individu est singulier dans son histoire et pourtant partie d'un tout au monde, au sens ou chaque être, de l'infiniment petit à l'homme contient en lui une aspiration au bonheur (ou une aspiration à la cessation de la souffrance).

Précisons que l'esprit de recherche et d'expérimentation qui guide la pratique de méditation ne vise pas à atteindre une vérité, mais à éviter l'opposé de la vérité qui est la base commune de la souffrance de tous les êtres. En fait le choix n'existe pas vraiment, il s'agit avant tout de trouver et d'actualiser notre propre nature de bouddha pour le bien de la conscience partagée. Cesser d'être ce que nous ne sommes pas pour nous établir dans la simplicité originelle.

Dr Stéphane Grès

Diplômé du New-Yuthok Institute de Milan "Tibetan-Medicine Amchi-Naturopath"
Membre de l'AFSCET et
chercheur associé au Laboratoire COSTECH de l'UTC
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BIBLIOGRAPHIE

[1] "La santé par l'équilibre" de Yeshi Donden. Edition Trédaniel (2000)
[2] "Voie graduelle du yoga tibétain " de Neldjorpa Sherab Namdreul. Edition Yogi Ling (1999)
[3]"Prévention et traitement des maladies" de Tenzin Choedrak. Editions Dangles (2001)
[...] "Médecine tibétaine" de Kalou Rinpoche
[...] "Dzogchen" de Namkhai Norbu Rinpoché. Edition Les Deux Océans (1994)

(a) - Paume, on parle aussi des pieds du Bouddha, sous ses pieds auraient surgit sept lotus à sa naissance…

(b) - Intérdépendance, L'interdépendance est un principe universel. Tout est interdépendant; rien n'est autonome et autosuffisant. Il n'est pas d'être, il n'est que de l' " inter-être ". L'enseignement du Bouddha sur l'interdépendance est une façon particulière d'exprimer l'absence d'entité ou d'ego, la vacuité d'être propre (shunyata), tant dans le sujet qui perçoit que dans les objets saisis.

(c) - Samatha, [Tranquillité, sérénité.] Concentration apportant le calme et la limpidité. La pratique de Samatha consiste à fixer sa concentration sur un objet unique pour réduire les pensées discursives nøvarana dans un premier temps et expérimenter un jhæna par la suite.

(d) - Trois corps: Dharmakâya - Sambhogakâya - Nirmânakâya, ceux essentiel, de rétribution et de transformation ou, selon une autre vision : la naissance spirituelle, l'éveil et la connaissance.

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Résumé

Comme la philosophie bouddhiste dans son ensemble, la médecine tibétaine constitue un système cohérent qui, pour élaboré qu'il soit, n'en demeure pas moins humaniste, ouvert sur le quotidien de l'homme intégré dans la vie sociale. Pratiquée depuis plus de 2500 ans, avec des racines issues de L'Ayurveda et de la médecine chamaniste, la médecine tibétaine est essentiellement fondée sur une approche holistique et systémique de l'être Humain. Bien que très fondamentalement elle s'appuie sur une approche pseudo-énergétique de l'Homme, ses techniques visent très concrètement une ré équilibration des énergies.

La qualité de l'approche médicale et ses particularités méthodologiques seront ici questionnées en rapport avec la problématique de la pathologie et de la maladie, que celle ci soit d'ordre spirituelle, mentale ou physique. Nous mettrons l'accent sur la nécessité de construire et de proposer aujourd'hui des approches alternatives centrées sur le processus qui forme à la fois les causes et les conditions favorables d'une dérégulation d'un organisme, au niveau de l'individu ou de la collectivité ainsi que les moyens de la penser autrement dans un cadre opérant à plusieurs niveaux (Etre, relations et composants). Nous présenterons les fondements symboliques et systémiques de la démarche tibétaine et discuterons plus particulièrement le processus de diagnostic, de traitement et les prescriptions d'accompagnement pour la guérison du "malade".