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Petit et Grand Véhicules (Hinayana et Mahayana) :

quelles différences?

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Trinh Dinh Hy

 

 

        Une question souvent posée

Quelles différences y a t-il entre le Petit et le Grand Véhicules? C’est une question que nous entendons souvent poser, non seulement par des profanes en matière de bouddhisme, mais aussi par des bouddhistes confirmés eux-mêmes. Elle en appelle d’autres, tout aussi importantes: cette distinction en deux grandes branches du bouddhisme résulterait-elle simplement d’une répartition géographique différente?  reflèterait-elle des modifications par les croyances locales des pays traversés ? ou bien existait-il déjà à la base des divergences philosophiques majeures?

A ces questions, les réponses demeurent souvent imprécises, incomplètes, voire évasives, comme si l’on avait peur d’accentuer les divisions du bouddhisme, et de raviver les tensions entre ses deux grandes branches.

        Et pourtant, ces questions sont essentielles pour avoir une vue d’ensemble de la doctrine.

Elle met le doigt sur un point important: loin d’être monolithique, le bouddhisme est composé de nombreuses branches et écoles différentes, si bien qu’il serait plus juste de parler non pas du bouddhisme en général, mais des bouddhismes en particulier.

De plus, ce serait une erreur de considérer la pensée initiée par le Bouddha Gotama comme une philosophie pérenne, figée dans le temps. Il s’agirait plutôt d’un processus évolutif continu, se modifiant progressivement lors de son expansion géographique et de sa rencontre avec les traditions locales.

        Pour distinguer les différences entre le Petit et le Grand Véhicules, il nous faudrait remonter aux sources, jusqu’au bouddhisme primitif ou originel, enseigné par le Bouddha Gotama vers le Vè s. avt JC au nord-est de l’Inde, et suivre son évolution pendant plus de 10 siècles à l’intérieur et en dehors du pays.

        Un peu d’histoire

        L’histoire du bouddhisme, comme le reste de l’histoire de l’Inde ancienne, est particulièrement floue, par manque de documents fiables, si bien que nous devons nous contenter d’une étude très approchée.

A la disparition du Bouddha Gotama, vers 480 av. JC, les communautés de moines dispersées dans le nord-est de l’Inde se trouvèrent dans un grand désarroi: il n’y avait aucun enseignement par écrit, aucune directive et aucun successeur désigné. Pendant que tout un chacun était abattu par le deuil, l’un des moines, Subhadda, s’écria: « Ne vous lamentez plus, mes frères! Pendant des années, le Grand Samana (sage errant) nous répétait sans cesse: ‘faites ceci, ne faites pas cela!’ Maintenant que nous en sommes délivrés, nous pouvons faire ce que nous avons envie de faire, et ne pas faire ce que nous n’aimons pas ». En entendant ces paroles, Maha-kashyapa, le disciple le plus âgé, s’empressa de convoquer en urgence une assemblée de toutes les communautés de moines.

Ce fut le Premier Concile, qui eut lieu 3 mois après la mort du Bouddha, dans une grotte à Rajagriha, capitale du Maghada. Pendant 7 mois, 500 moines, tous Arahats (éveillés), se réunirent pour se remémorer et réciter les enseignements du Bouddha. Ananda, cousin et disciple le plus proche du Bouddha, fut chargé de réciter ses sermons, Upali les règles monastiques et Mahakasyapa se chargea des commentaires. D’après la tradition, ces enseignements furent rédigés sur des feuilles de palme et collectés dans 3 corbeilles (Tipitaka), la Corbeille de sermons (Sutta-pitaka), celle de la discipline (Vinaya-pitaka), et celle des commentaires (Abhidhamma-pitaka). En réalité, la transmission restait longtemps orale, de génération en génération, et la rédaction des deux premières Corbeilles n’eut lieu que 200 ans après la mort du Bouddha, et celle de la dernière, l’Abhidhamma, encore plus longtemps après.

Il a été signalé qu’à l’annonce des résultats du Concile, l’un des Anciens, Purana, suivi de ses disciples, refusa de les reconnaître: « Ce que vous faites est peut-être très bien, mais je préfère garder en mémoire ce que j’ai moi-même entendu de la bouche du Maître ». Ce fut le premier désaccord au sein de la Sangha sur l’interprétation de la doctrine.

        Un Second Concile eut lieu vers 386 avt JC, soit environ 100 ans après, à Vaishali, capitale des Vajji, afin de résoudre un problème de discipline, à l’occasion d’un incident grave entre deux communautés de moines. Yasha, l’un des Anciens de la communauté de l’Est, passa un jour à Vaishali et constata que les moines de la communauté de l’Ouest avaient enfreint une dizaine de règles monastiques, notamment en s’adonnant aux boissons alcoolisées, en s’alimentant à des heures interdites et en acceptant l’argent des fidèles. Ceux-ci essayèrent d’abord d’acheter Yasa, puis le chassèrent de la ville. Yasa informa alors les Anciens moines, lesquels firent convoquer un Concile pour juger l’affaire devant la communauté. Le verdict du Concile fut la condamnation des moines fautifs, avec obligation d’excuses publiques. Mais ceux-ci refusèrent d’obtempérer, et plus nombreux et plus jeunes, se scindèrent en un mouvement appelé Mahasanghika (Grande Assemblée, skt. maha= grand; sanghika= assemblée), distinct de celui des Sthaviravada (Ecole des Anciens, skt. sthavira= ancien; vada= école).

        Le Troisième Concile eut lieu vers 240 avt JC, soit environ 200 ans après la disparition du Bouddha, à Pataliputra, nouvelle capitale du Magadha, sous le règne d’Ashoka, empereur de la dynastie des Maurya, converti au bouddhisme et devenu son protecteur. Cette fois-ci, la division de la Sangha est devenue profonde et irréversible. La raison invoquée était connue sous le nom des « Cinq thèses de Mahadeva ». Ce moine soutenait que l’Arahat pouvait encore avoir des désirs charnels et des doutes, qu’il n’était pas encore complètement débarrassé de l’ignorance, et qu’il pouvait se faire aider dans l’éveil par d’autres forces ou certains sons. En somme, il réclamait une conception plus humaine de l’être éveillé ou aspirant à l’éveil.

        Ses partisans formaient le Mahasanghika (Grande Assemblée), qui deviendra plus tard le Mahayana (Grand Véhicule, skt. maha= grand; yana= radeau, véhicule), plus réformateur, plus libéral, plus ouvert sur le monde. En face d’eux se tenait le Sthaviravada (Ecole des Anciens), plus conservateur, plus rigide et élitiste, défendant la pureté de la doctrine.

        Il est à noter qu’en dépit de cette division profonde, la période du règne d’Ashoka était une période de grande expansion du bouddhisme à l’intérieur et en dehors de l’Inde, vers le sud, le sud-est asiatique et le nord-ouest, en Asie Centrale jusqu’à l’Anatolie, la Grèce et l’Egypte.

        Le Quatrième Concile eut lieu au Cachemire, au IIè siècle ap. JC, sous le règne de l’empereur Kanishka, de la dynastie des Kouchana. Mais le concile ne réunit cette fois-ci que les adeptes du Sarvastivada (de sarva= tout, asti= existe), une branche de l’Ecole des Anciens, et dont le travail se portait essentiellement sur l’Abhidhamma.

        Au IIIè s. apr. JC, on comptait déjà 18 écoles du Sthaviravada , dont le Sarvastivada se développant au nord-ouest, à Mathura, au Kashmir et au Gandhara, et le Theravada (Ecole des Anciens, pali thera= ancien; vada= école) se développant vers le Sud et à l’Est. Ces écoles s’éteignirent les unes après les autres, et il ne persiste à nos jours que le Theravada, école la plus proche du bouddhisme primitif. Le Mahayana se divisait, en quelques centaines d’années après son apparition, en de nombreuses écoles, chacune s’appuyant sur un (ou des) sutra particulier, et se développant séparément.

        Sept siècles environ après leur composition originelle, les livres d’Abhidhamma (skt: Abhidharma; Dharma supérieur ou Dharma suprême) furent colligés et codifiés vers le Vè s. ap. JC, en pali par Buddhaghosa pour le Theravada au Sri Lanka, et en sanskrit par Vasubandhu pour le Sarvastivada dans le nord de l’Inde.

        L’avènement du Mahayana eut lieu subrepticement entre le Ier s. avt JC au Ier s. ap. JC, sans figure dominante, sans organisation séparée, marquée par l’apparition sur une période de plusieurs siècles de sutra en sanskrit, différents du Canon pali, comme le Lotus de la Bonne Loi (Saddharma-pundarika), le volumineux Prajña-paramita en 600 volumes, comprenant le Sutra du Cœur (Hrdaya-prajña-paramita) et le Sutra du Diamant (Vajracchedikka-prajña-paramita), le Vimalakirti, le Lankavatara (Descente à Sri Lanka), l’Avatamsaka (Guirlande de Fleurs), l’Amitayurdhyana (Amitabha), le Surangama (Action héroïque), etc.

Ces écrits abondants et variés du Mahayana (on en a dénombré jusqu’à 600) partagent plusieurs points communs: 1) ils sont apparus tardivement, au plus tôt au IIè s. avt JC, certains jusque vers le Vè s.; 2) souvent prétendus être des enseignements « cachés » du Bouddha, il s’agit en fait de textes souvent anonymes, d’auteurs inconnus; les autres écrits étaient plutôt des shastras (traités), rédigés par des patriarches-philosophes comme Ashvagosha (I-IIè s.), Nagarjuna (II-IIIè s.), chef de file de l’Ecole du Milieu (Madhyamaka) ou Ecole de la Vacuité (Shunyatavada), Asanga et Vasubandhu (IVè s.), fondateurs de l’Ecole du Rien que Conscience (Vijñanavada ou Yogacara); ces 2 écoles ont été considérées comme les 2 « ailes » du Mahayana; 3) rédigés en sanskrit, langue littéraire, sous une forme particulière appelée sanskrit hybride bouddhique, la plupart ont été perdus et ne subsistent que sous forme de traduction en chinois ou en tibétain.

Au début, le Mahayana avait une organisation assez lâche: les moines Sthaviravada et Mahayana habitaient dans les mêmes monastères, suivaient le même enseignement de base, respectaient les mêmes préceptes et se distinguaient seulement pour les derniers par l’étude des textes en sanskrit et la vénération des Bodhisattvas. Au VIIè s., d’après les moines-pèlerins chinois Xuán Zàng et Yì Jìng venus en Inde pour en ramener les textes sacrés, les monastères indiens comptaient presque autant de moines du Mahayana que de moines du Theravada. La propagation du bouddhisme vers la Chine était due en grande partie aux voyages des moines dans les deux sens, par la Route de la Soie ou par voie maritime.

Dans d’autres pays d’Asie par contre, l’évolution a été différente: en Asie du Sud et du Sud-Est (Sri Lanka, Birmanie, Thailande, Cambodge, Laos), le Theravada (Petit Véhicule) a supplanté le Mahayana et s’est solidement implanté, alors qu’en Asie de l’Est (Chine, Corée, Japon, Viêt Nam), le Mahayana (Grand Véhicule) s’imposait. Au Tibet et dans les pays voisins de l’Himalaya, en Mongolie, le bouddhisme est arrivé plus tardivement sous la forme du Vajrayana (Véhicule du Diamant, ou bouddhisme tantrique), qui fait partie du Mahayana. Il faut noter que partout où le bouddhisme s’est implanté, il est apparu un certain syncrétisme religieux dû à une adaptation aux traditions locales (tels le confucianisme et le taoïsme en Chine et au Viêt Nam, le shintoïsme au Japon, le bön au Tibet, en même temps que l’animisme dans beaucoup de pays).

Cette expansion s’est produite progressivement, en même temps que le déclin du bouddhisme en Inde à partir du Xè s., jusqu’à l’invasion musulmane vers le XIIIè s. qui portera à celui-ci un coup fatal.

Au terme de cet aperçu historique, nous pouvons retenir quelques points importants:

- Peu de temps après la mort du Bouddha, des divergences sont apparues au sein des communautés de moines, portant à la fois sur l’interprétation de la doctrine et sur la discipline monastique. La raison en est leur grande dispersion géographique, d’abord au nord-est de l’Inde, ensuite dans le nord-ouest et le sud, où la doctrine s’est propagée.

- 200 ans environ après la disparition du Bouddha, alors que l’enseignement du Maître n’a pas encore été fixé par écrit, se produisit un véritable schisme entre l’Ecole des Anciens (Sthaviravada), conservatrice et puriste, et la Grande Assemblée (Mahasanghika), réformatrice et contestataire. Ce schisme était d’autant plus inévitable qu’au fil des ans la pratique du bouddhisme est devenue sèche et figée au sein des Anciens, accusés de préférer l’érudition à la sagesse et le débat à la réalisation. En même, temps il est apparu dans la masse populaire l’exigence d’une plus grande accessibilité notamment aux laïcs et aux femmes, ainsi que la montée de la foi-dévotion (bhakti), conduisant au « bouddhisme de la foi ».

- Environ 400 ans près la disparition du Bouddha, émergeait progressivement le Mahayana (Grand Véhicule) dont le vœu était de secourir le plus grand nombre d’êtres vivants, par opposition au Hinayana (de hina= petit), accusé de se préoccuper seulement de sa propre délivrance.

De la branche initiale des Anciens (Sthaviravada), il ne subsiste que le Theravada, pratiquement inchangée depuis au Sri Lanka et dans les autres pays du sud-est asiatique.

- Il a fallu encore quelques centaines d’années pour que le Mahayana se diversifiait en de nombreuses écoles, chacune se basant sur un ou plusieurs sutra tardifs, et se développant de façon indépendante en Asie de l’Est.

Aujourd’hui il en subsiste 3 branches principales: le Vajrayana (Véhicule du Diamant ou bouddhisme tantrique) et ses lignées, au Tibet et pays voisins et en Mongolie; l’Ecole de la Terre Pure (Jìngtǔ), et l’Ecole de la Méditation (Chán, Zen, Sôn, Thiền respectivement) en Chine, au Japon, en Corée et au Viêt Nam.

Quelles différences entre Petit et Grand Véhicules?

Nous allons maintenant examiner point par point les différences entre Petit et Grand Véhicules, c’est-à-dire le Theravada et le Mahayana.

1) La sagesse de l’Arahat et la compassion du Bodhisattva

Pour le Theravada, l’Arahat est celui qui s’est délivré de toutes les souillures (kilesa), qui est parvenu à l’extinction, au nibbana. Avant d’y arriver, il doit passer par plusieurs étapes: a) celui qui est entré dans le courant (sotapanna), b) celui qui ne reviendra qu’une fois (sakadagami), c) celui qui ne reviendra plus (anagami).

On distingue aussi les 3 « véhicules » ou 3 façons d’atteindre l’éveil: 1) le « véhicule » des auditeurs (sravaka-yana), emprunté par ceux qui s’éveillent en écoutant l’enseignement du Bouddha; 2) le « véhicule » des solitaires (pratyeka-yana), emprunté par ceux qui s’éveillent en découvrant eux-mêmes la voie, mais qui restent seuls dans le silence; 3) les parfaits Bouddha (samma-sambuddha), ceux qui s’éveillent par eux-mêmes et vont enseigner la voie aux autres.

Dans le Mahayana, l’idéal du Bodhisattva s’est substitué à celui d’Arahat. Le Bodhisattva (Bodhi= éveillé; sattva= être) est un être éveillé qui a fait le vœu de rester dans le monde pour aider tous les êtres vivants à se délivrer de la souffrance. Le « véhicule » idéal à emprunter est donc le Bodhisattva-yana.

En fait, la notion de Bodhisattva existe déjà dans le bouddhisme primitif. C’est un état d’être éveillé pendant un certain temps avant son éveil parfait. D’après les Jataka, récits des vies antérieures du Bouddha, celui-ci a déjà été dans le passé, par sa conduite-même, un Bodhisattva.                      

Ce qui est nouveau pour le Mahayana, c’est que l’idéal du Bodhisattva a remplacé celui d’Arahat. L’amour bienveillant (p. metta, s. maitri) et la compassion (karuna) sont devenus aussi importants que la sagesse ou la compréhension profonde (p. pañña, s. prajña).

Ainsi dans les pagodes Mahayanistes, les Arahat sont représentés à part comme des disciples du Bouddha, hiérarchiquement inférieurs aux Bodhisattva placés à côté des Bouddha et vénérés comme eux.

2) Les Trois Corps de Bouddha (trikaya)

Pour le Theravada, seul le Bouddha historique, c-à-d le Bouddha Gotama (ou Sakya-muni), existe. Certes, dans le passé beaucoup d’hommes sont devenus des Bouddha, comme beaucoup d’autres le seront dans le futur, mais tous apparaissent dans un cadre historique.

Pour le Mahayana, le Bouddha est un être transcendantal, au-delà du temps et de l’espace. Il peut apparaître sous 3 formes:

- le corps de transformation (nirmanakaya), dans lequel il est réincarné;

- le corps de jouissance (sambhogakaya), dans lequel il vit dans le monde des dieux et apparaît aux humains, prêchant la doctrine;

- le corps du Dharma (dharmakaya), qui est le principe ultime de la Bouddhéité.

Cette théorie des 3 corps explique l’existence dans le Mahayana d’un véritable panthéon bouddhique: en dehors du Bouddha Gotama, on vénère encore le Bouddha Amitabha (de la Lumière Infinie) encore appelé Amitayus (de la Vie Infinie), le Bouddha Vairocana (du Grand Soleil), le Bouddha Maitreya (de l’Avenir), le Bouddha Bhaisajyaguru (de la Médecine), et de nombreux Bodhisattva dont les plus connus sont: Avalokiteshvara (de la Compassion; ch. Guān Shìyīn), Kshitigarbha (de la Terre; ch. Dìzàng), Manjushri (de la Sagesse; ch. Wénshū), Samantabhadra (de la Pratique; ch. Pǔxián).

3) La Nature de Bouddha

C’est une particularité du Mahayana: il existe en chacun ce que l’on appelle l’« esprit d’éveil »(bodhicitta, de bodhi= éveil; citta= esprit), un potentiel de devenir un Bouddha. Autrement dit, chacun porte en soi la nature de Bouddha, un germe de Bouddha (tathagata-garbha).

4) La vacuité, l’Ainsité

La vacuité (p. suññata, s. sunyata) est un concept majeur dans le Mahayana, au point où elle est parfois citée comme le 4è Sceau ou caractéristique de l’existence (tilakkhana, 3 Sceaux), à côté de l’impermanence (anicca), du non-soi (anatta) et de la souffrance (dukkha). Elle n’est guère mentionnée dans le Theravada, alors que sa présence y est implicite.

Le Sutra du Cœur (Hrdaya-sutra), texte condensé du Prajña-paramita-sutra, est quotidiennement récité dans les monastères mahayanistes, avec sa fameuse phrase « La forme est la vacuité, la vacuité est la forme ». Pour Nagarjuna, grand commentateur du Prajña-paramita-sutra, et chef de l’Ecole du Milieu (Madhyamaka), la vacuité est la nature fondamentale des choses, l’Ainsité, le Tel quel (tathata), impossible à saisir par la conceptualisation, la différenciation, la logique.

5) La foi, la dévotion

Dans le Theravada, comme dans le bouddhisme originel, il n’est pas question de foi religieuse, ni de croyance en des forces surnaturelles, mais uniquement d’une « foi de confiance » (p. saddha) que les disciples portent en leur maître.

C’est à partir du 4è s. avt JC que la « foi-dévotion » (bhakti) s’est développée en Inde, gagnant progressivement les masses populaires jusque vers le début de notre ère, coïncidant avec  l’apparition du Mahayana et l’influençant fortement.

Arrivée au même rang que la sagesse, elle conduit tout droit au « bouddhisme de la foi », représenté par les Ecoles de la Terre Pure (Jìngtǔ), de l’Ornementation Fleurie (Huáyán), de la Terrasse Céleste (Tiāntái), caractérisées par la vénération de divers Bouddha dont Amitabha et de plusieurs Bodhisattva, écoles qui deviendront florissantes en Chine et dans les pays d’influence chinoise. Elle joue aussi un rôle important dans le Vajrayana, doublé du caractère magique du tantrisme.

La seule école du Mahayana qui n’est pas influencée par la foi-dévotion reste l’Ecole de la Méditation, où seule compte la réalisation personnelle, aidée seulement par une forte relation maître-élève. Déjà Nagarjuna constatait que « le chemin de la foi est aisée, le chemin de la sagesse dure et difficile».

6) Les moyens habiles

Dans le Theravada, pour progresser dans la voie chacun ne peut compter que sur soi-même, et l’essentiel est  de contrôler son mental, sans avoir besoin d’autres moyens.

Dans le Mahayana par contre, on peut s’aider de moyens habiles (upaya-kausalya) pour parvenir à la délivrance, ou l’éveil, ou la simple transformation de soi. Ces moyens habiles peuvent êtres des sons (cloche, tambour, instruments de musique divers), des prières, des mantra, ou des mandala. Les prières adressées aux Bouddha et Bodhisattva sont comme un appel à des forces extérieures, la « force de l’autre » (jap. tariki) à la place de la « force de soi » (jap. jiriki). Ceci serait devenu une nécessité car, d’après certains patriarches du Mahayana, le bouddhisme est parvenu au terme d’une longue évolution à un tel état de déclin et l’homme à un tel degré de faiblesse qu’il a besoin d’une aide extérieure, que ce soit par le « transfert de mérites » que par l’intervention d’un grand nombre de sauveurs.

En résumé

Pour résumer les différences entre le Theravada et le Mahayana que nous venons d’énumérer et de détailler, nous pouvons dire en gros que :

- Le Theravada est plus conservateur et élististe, et s’adresse plutôt aux moines, alors que le Mahayana est plus libéral et plus accessible aux laïcs et aux femmes.

- Le Theravada repose essentiellement sur la sagesse, alors que dans le Mahayana la foi occupe une place aussi importante.

- L’idéal du Theravada est l’Arahat, caractérisé par la sagesse, alors que le voeu du Mahayana est de devenir Bodhisattva, caractérisé par la compassion.

- Le Theravada ne reconnaît que le Bouddha historique, alors que le Mahayana, par la théorie de la transcendance ou des 3 corps,vénère de nombreux Bouddha et Bodhisattva.

- Le Theravada se tientplus à l’écart du monde, est plus contemplatif, alors que le Mahayana estplus engagé dans le monde, plus social.

- L’adepte du Theravada ne peut compter que sur lui-même pour sa délivrance, alors que le Mahayana peut utiliser de nombreux moyens habiles pour y parvenir.

- L’enseignement du Theravada est relativement homogène, contenu dans le Canon pali, alors que celui du Mahayana est hétérogène, se différenciant en de multiples écoles, chacune s’appuyant sur un ou plusieurs sutra tardifs spécifiques. Elles vont de l’Ecole de la méditation, dépouillée, visant la réalisation à travers la vacuité, jusqu’à la Terre Pure, reposant sur la foi-dévotion en le Bouddha Amitabha et aspirant à la renaissance dans le monde de l’Extrême Félicité de l’Ouest (Sukhavati), en passant par le Vajrayana avec ses nombreux rites tantriques.

Bien entendu, ceci reste assez schématique car les choses sont loin d’être aussi tranchées, et il n’est pas rare de trouver des éléments mélangés de différentes écoles au sein d’un même monastère.

Conclusion

Si l’on se reporte aux écrits anciens, qui servent encore de support d’enseignement du Theravada (Petit Véhicule, qu’il serait plus correct d’appeler Véhicule des Anciens), celui-ci peut être considéré comme une orthodoxie, c’est-à-dire la norme, la référence de la doctrine, alors que le Mahayana (Grand Véhicule) avec ses branches divergentes, ne seraient que des hétérodoxies bouddhiques.

Ce nouvel embranchement, apparu environ 5 siècles après la disparition du Bouddha, constituerait une déformation, une transformation du tronc bouddhique originel, en de multiples branches éloignées des écoles anciennes, et qui continueraient pendant longtemps à s’en écarter sous l’influence des traditions locales.

Le schisme en Véhicule des Anciens et Grand Véhicule, et les modifications apportées par ce dernier semblent inévitables, d’abord en raison de la dispersion géographique des communautés de moines en Inde puis ailleurs; ensuite, en raison d’une longue évolution de la doctrine pendant au moins 10 siècles; enfin, à cause de l’aspiration des masses populaires à une plus grande accessibilité, à une dimension plus humaine de la voie, et à un besoin de foi-dévotion, transformant en religion ce qui était au départ une discipline de l’esprit.

L’avantage de ces transformations est que les adeptes du bouddhisme disposent aujourd’hui d’un large choix d’écoles diverses et variées, aussi bien sur le plan théorique que pratique. Chacun peut trouver le chemin qui lui semble le plus adapté à son tempérament et ses aspirations. En s’appuyant sur la phrase attribuée au Bouddha: « Il existe 84000 chemins (ou portes du Dharma) conduisant à la vérité ».

Néanmoins, pour bien comprendre le bouddhisme dans son essence et son développement, il n’est sans doute pas inutile de rappeler que la meilleure façon serait de remonter à ses origines.

 

               Olivet, le 23/11/2014

Trinh Dinh Hy

 

Références

Le livre que je recommanderais sur ce sujet est:

Edward Conze

Le bouddhisme

Editions Payot & Rivages, 1952, 1970, 1978, 1995 (traduit de l’anglais : Buddhism – Oxford, Bruno Cassirer Ltd, 1951)